Elus et bibliothécaires : compte rendu

 

Confiance, écoute et respect : peut-être la recette réussie d’une collaboration entre élus et bibliothécaires

Le groupe Poitou-Charentes-Limousin a organisé à Tulle début novembre une journée d’étude sur le thème des relations entre élus et bibliothécaires (1*). Une soixantaine de personnes avait pris place dans l’auditorium de la nouvelle médiathèque intercommunale Tulle Cœur de Corrèze (2*), récemment ouverte au public.
Après le mot d’accueil du président de la communauté de communes Tulle et Cœur de Corrèze, Monsieur Bousseyrol, la matinée était consacrée à un rappel de connaissances administratives sur les domaines de compétences et de responsabilités des collectivités territoriales puis à un point sur la réforme territoriale en cours de discussions à l’Assemblée nationale.
Mr Georges Perrin (3*) nous a fait le cadeau pour sa dernière journée de travail avant la retraite, de présenter cette intervention, qu’il en soit ici chaleureusement remercié.

Réforme des collectivités territoriales

Georges Perrin rappelle rapidement les compétences obligatoires des collectivités territoriales en matière de culture, issues des lois de décentralisation du 22/07/1983 et du 13/08/2004 :

  •  la Région : responsabilité de l'inventaire général du patrimoine culturel ; organisation et financement des musées régionaux ; conservation et mise en valeur des archives régionales ;
  •  le Département : développement de la lecture publique grâce aux bibliothèques départementales de prêt qui sont les seules bibliothèques inscrites dans la loi ; gestion des archives départementales, schéma départemental de développement des enseignements artistiques dans les domaines de la musique, de la danse et de l’art dramatique, en concertation avec les communes concernées ;
  •  la Commune : organisation et financement de l’enseignement artistique initial (musique, danse, art dramatique).
  • les communes ou leurs groupements peuvent aussi, s’ils en font la demande et comme pour toute collectivité territoriale ou groupement de collectivités, se voir transférer la propriété de monuments classés ou inscrits, et des objets qu’ils renferment, appartenant à l’État ou au Centre des monuments nationaux et figurant sur une liste établie par décret en Conseil d’État.

Georges Perrin a ensuite fait le point sur dans la réforme des collectivités territoriales engagée depuis 2009, suite au rapport Balladur qui pointait un besoin de transparence face à l’émiettement administratif, de rééquilibrage entre zones peuplées et moins peuplées, de simplifier les structures, d’effacer les Pays, de mettre fin à l’anomalie des élus communautaires qui ne sont pas élus au suffrage universel, de regrouper les régions (jusqu’à 3 ou 4 millions d’habitants), de fusionner les départements, de mettre fin au chevauchement Régions/Départements en Corse et Dom Tom, de permettre un meilleur contrôle démocratique.
Le rapport énonce 20 propositions. Les principales mesures envisagées par le gouvernement et qui peuvent avoir une incidence sur la lecture publique sont :

  • Des conseillers territoriaux siégeant à la fois au conseil général et au conseil régional ;
  •  La suppression de la clause générale de compétence des départements et des régions ;
  •  La création de 11 métropoles, pour les bassins de plus de 500 000 habitants ;
  •  Un achèvement de la carte intercommunale début 2014.

Aujourd’hui, on note beaucoup de résistances notamment concernant la suppression de la clause générale de compétence, qui impliquerait la fin des financements croisés. Après négociation entre l’Assemblée nationale et le Sénat, il semble que les collectivités territoriales pourront encore exercer des compétences partagées, en particulier la culture, le sport et le tourisme.
Les prochaines échéances devraient être avant fin 2011, l’élaboration par les préfets de départements du schéma départemental de coopération intercommunal pour créer la nouvelle carte intercommunale ; cela devrait aboutir à l’élection en 2014 des nouveaux conseillers territoriaux et à l’élection des élus intercommunaux au suffrage universel.

Pour aller plus loin, on peut consulter http://www.interieur.gouv.fr/sections/reforme-collectivites/

Notes :
(1*) Voir le programme sur le site de l’ABF, onglet vie des groupes, groupe Poitou Charentes Limousin
(2*) Voir portail de la médiathèque : www.mediatheque.cc-tullecorreze.fr
(3*)Georges Perrin inspecteur des bibliothèques pour les régions Poitou Charentes et Limousin]


La suite de la matinée se poursuivait par l’intervention de Mr Claude Poissenot (4*), enseignant-chercheur en sociologie à l’IUT Nancy-Charlemagne, bien connu des bibliothécaires pour ses études sur les bibliothèques et leurs publics depuis une quinzaine d’années.


Du lecteur universel à l’usager individualiste et concret

La question est de savoir, nous dit-il, si tous les élus savent ce qu’est une bibliothèque. Aujourd’hui encore, cette question fondamentale reste posée et nous montre que l’entente implicite entre élus et bibliothécaires constitue un arrangement fragile. Cette fragilité trouve son origine dans la vision particulière qu’ont les bibliothécaires de leurs établissements et de leurs usagers. De plus, les bibliothèques ne sont pas toujours perçues par les élus comme un service public permettant la diffusion de la culture et la formation du citoyen.

Les bibliothécaires ont une représentation abstraite du citoyen. C’est l’image de la première modernité, selon Claude Poissenot, celle d’un individu reconnu comme autonome par le droit mais dont la référence à la raison renvoie à l’universel. C’est la bibliothèque telle qu’on l’a conçu jusqu’aux années 60-70. L’individu n’existe pas en lui-même, il accepte de rentrer dans un moule, celui de l’élève universel ou du lecteur universel. La société ne demande pas à l’individu d’exister concrètement.

Depuis 40 ans, la société a évolué très vite pour aboutir à une société individualiste ; l’individu en tant que tel a pris le pas. La demande de reconnaissance en tant qu’individu est devenue le modèle dominant mais dans le même temps le projet de bibliothèque basé sur un individu universel n’a pas évolué et cette vision de la bibliothèque est devenue incompatible avec celle d’une frange de la population de plus en plus importante du fait entre autres d’un accès à l’éducation (collège unique, réforme de 1970).

Les constructions et les projets de bibliothèques jusqu’aux années 2000 n’ont pas anticipé cette évolution. Il y a eu erreur de diagnostic d’où aujourd’hui ce décalage et la nécessité pour les bibliothèques de rattraper leurs retards, de prendre le tournant de la deuxième modernité.
La bibliothèque d’aujourd’hui s’adresse à des individus en tant que tels et les bibliothécaires doivent savoir qui sont ces gens, ce qu’attend le public, les usagers de la bibliothèque. Il faut penser l’usager comme un individu concret. Le public lui, attend une reconnaissance de ses choix.
Le fossé existant parfois entre les élus et les bibliothécaires est dû, selon Claude Poissenot, à la différence de vision de ce qu’est ou doit être une bibliothèque.

On ne peut réduire la bibliothèque à sa dimension culturelle si on veut élargir le public, il faut semble-t-il impliquer davantage les usagers dans le fonctionnement des établissements et prendre en compte la dimension singulière de l’individu.
Il est grand temps que les professionnels des bibliothèques changent de posture devait-il conclure.


Note :(4*)*Claude Poissenot est l’auteur de « La nouvelle bibliothèque : contribution pour la bibliothèque de demain » Editions Territorial, 2009 (dossier d’experts)

La deuxième partie de la journée était axée sur des propositions plus pratiques : outils, témoignages et partages d’expériences permettant de mettre en œuvre une véritable concertation avec les élus.

 

L’évaluation comme outil d’aide à la prise de décision par les élus

Une première table ronde réunissait collègues de bibliothèques départementales de prêt de la région et de bibliothèque municipale dont l’objectif était de montrer l’importance des documents d’évaluation transmis aux élus comme moyen de connaissance de l’activité de l’établissement.

A quoi sert l’évaluation ?
Gaetano Manfredonia (5*) rappelait en guise d’introduction l’objet de cette table ronde. Il s'agit de démontrer aux bibliothécaires l’importance et l’intérêt qu’elles peuvent retirer d’une évaluation pertinente et bien menée.
Souvent considérée comme un exercice fastidieux, l’évaluation n’est pas encore complètement intégrée aux pratiques professionnelles, faute sans doute d’avoir révélé la valeur ajoutée que l’on pouvait en retirer.
Pourtant l’évaluation pratiquée objectivement permet de renforcer la crédibilité et la légitimité des actions menées par le personnel de la bibliothèque. C’est un outil de gestion, d’information et de contrôle à la disposition des bibliothécaires et des élus.

Le rapport d’activité : un outil d’évaluation, de prise de décisions par les élus et de communication
Pour donner un exemple concret, Agnès Gastou (6*) précisait en quoi le rapport d’activité était l’un des éléments de cette évaluation.
La rédaction du rapport d’activité, exercice indispensable pour les bibliothécaires, produit non seulement une photographie de l’activité de l’établissement à un moment donné mais cela permet également une analyse fondée sur la mise en relation de données débouchant sur une interprétation, une action d’ajustement ou d’amélioration du service.
Le rapport d’activité, poursuivait-elle, est non seulement un outil d’évaluation, c’est aussi un outil permettant la prise de décisions par les élus. En apportant des éléments utiles pour faire évoluer le service en termes de missions, d’objectifs et de moyens, il contribue à faire évoluer les orientations de la politique de lecture publique.
In fine, le rapport d’activité peut être utilisé comme un outil de communication avec les élus et la population, si des précautions linguistiques sont prises c’est-à-dire l’emploi d’un vocabulaire non spécialisé.
En milieu rural, nous précisait Viviane Olivier (7*), les bibliothèques départementales de prêt sont dépendantes des données recueillies auprès de leur réseau. Aussi, les BDP assurent-elles un rôle important de formateur en la matière.
En effet, si la collecte des rapports d’activité auprès des petites bibliothèques souvent dépourvues de personnel formé et salarié lui est indispensable, c’est que les différentes données collectées permettront à leur tour à la BDP d’établir son propre rapport d’activité pour les élus du département. Ainsi l’assemblée départementale pourra renforcer ou modifier de façon efficace sa politique culturelle.

Qu’est-ce qu’un bon indicateur ? Un indicateur pertinent est un indicateur qui contribue à éclairer une problématique précise.
Si la collecte des données est parfois si compliquée pour les BDP, c’est aussi que les bibliothèques sont devenues intercommunales et de ce fait, elles se trouvent dans des situations assez différentes les une des autres. Ainsi, continuait Marie-Christine Plaignaud (8*), en évoquant le cas particulier du département de la Haute-Vienne, département qui connaît un développement important des réseaux intercommunaux (25% de la population desservie par la BDP 87, l’est dans un cadre intercommunal).
Les outils d’évaluation n’ont pas encore été complètement adaptés à ce nouveau cadre. Pour exemple, elle citait Le rapport annuel d’activité de l’Etat qu’ont à remplir les bibliothécaires. En effet celui-ci ne prend en compte cette notion d’intercommunalité que depuis cette année. Une expérimentation de nouveaux outils devrait être mise en place dès 2011 pour mieux tenir compte de cette dimension. La BDP de la Haute-Vienne devrait faire partie des départements test.
Par ailleurs, Marie-Christine Plaignaud devait souligner qu’actuellement les bibliothèques intercommunales rendaient insuffisamment compte de leurs activités sur l’ensemble de leurs réseaux d’où une perte d’informations sur l’état de l’activité lecture sur leur territoire et par voie de conséquence une pertinence moindre pour le rapport d’activité de la BDP.

Notes :
(5*)Gaetano Manfredonnia, directeur de la BDP de la Corrèze (19) ;(6*)Agnès Gastou, bibliothécaire Saint-Léonard de Noblat (87) ;(7*)Viviane Olivier, bibliothécaire BDP de la Creuse (23) ;(8*)Marie-Christine Plaignaud, directrice de la BDP de la Haute-Vienne (87)

 

Concertation et projet partagé par les élus et les bibliothécaires

Cette dernière table ronde modérée par Philippe Pineau, bibliothécaire et vice-président du groupe, rassemblait élus et bibliothécaires pour un partage d’expériences et de réflexions sur la collaboration entre élus et bibliothécaires.

Philippe Pineau rappelle en quelques mots d’introduction pourquoi la médiathèque dans la cité est reconnue comme un espace essentiel du territoire : il s’agit de créer un bien commun, d’intérêt général, pour honorer les droits des citoyens à l’éducation, à la culture, à l’information, à l’expression, à la communication, au bien-être. Cet objectif implique une collaboration harmonieuse entre élus et bibliothécaires. Le modérateur présente ensuite les participants à la table ronde et les invite à dire de leur point de vue comment réussir ce travail en commun, comment faire vivre la médiathèque moderne pour qu’elle soit toujours moderne, suivant les mots de Claude Poissenot.

Madame Isabelle Mazeirat, maire-adjointe déléguée à la culture de La Souterraine, estime que la médiathèque résulte d’une démarche citoyenne. Elle est le fruit d’un projet politique bien pensé et confié dans sa réalisation aux bibliothécaires qui sont en grande proximité avec les publics et sont à même de nourrir la réflexion des élus pour la poursuite des objectifs. Pour ce faire, les élus disposent d’un outil essentiel : le rapport d’activité (qui est autre que celui demandé par l’Etat). Le rapport d’activité est diffusé aux autres élus et à la population. C’est un document qui témoigne aussi de la plus value qu’apporte le travail des bibliothécaires et contribue à la reconnaissance du métier.

Corinne Parotin, la bibliothécaire responsable de la médiathèque de La Souterraine confirme la relation très soutenue avec l’élue et apprécie cette reconnaissance qui permet de travailler en se sentant respecté.

Jean-Pierre Faye, président de la Communauté de communes Les Portes de Vassivière explique comment « la compétence Bibliothèque » a été inscrite dans les missions de la communauté de communes conçues comme projet global, et comment la phase de conception a bénéficié des conseils de la BDP et de la DRAC.

Christiane Méry, bibliothécaire directrice de la Médiathèque intercommunale de Tulle note que les bibliothécaires assurent un service direct envers la population, et qu’ainsi, ils sont un des maillons visibles de la politique culturelle souhaitée par les élus. S’attachant aux termes de l’énoncé de la table ronde, elle avance que le bibliothécaire méconnaît souvent la charge de l’élu et son besoin d’informations, et que l’élu, de son côté, ne possède pas une conception claire du métier de bibliothécaire et de sa technicité, ce qui n’est pas le cas pour d’autres corps de métier comme celui d’architecte, par exemple. L’élu peut avoir du mal à reconnaître un projet de service, surtout si des structures sont excentrées, et du coup, à valoriser les pratiques du métier de bibliothécaire. L’objectif serait donc de lever ces méconnaissances réciproques en créant des passerelles de communication entre élus et bibliothécaires, ce qui implique d’organiser des temps et des lieux d’échanges qui permettent de s’écouter et de s’entendre.

Agnès Gastou, présidente du groupe ABF Poitou-Charentes Limousin, évoque de manière très directe les fréquentes situations où les bibliothécaires ne bénéficient pas de la considération des élus, ce qui provoque des difficultés pour mener à bien leurs missions dont le projet de service pour la communauté des citoyens n’est pas des moindres. Si les élus ont la délicate tâche de formuler des décisions, dit-elle, ils ne doivent pas pour autant ignorer les conseils que les bibliothécaires peuvent apporter de par leurs connaissances techniques et scientifiques. Il arrive même parfois que les bibliothécaires soient tellement tenus à l’écart que les comportements des élus confinent aux agissements hostiles, voir au harcèlement moral. Défenseure des bibliothécaires, Agnès Gastou vise à alerter sur le manque de reconnaissance des bibliothécaires par les élus, même si tous les élus ne sont pas concernés par ses propos, à l’image de Sophie Dessus, maire d’Uzerche et conseillère générale, très impliquée dans le développement de la lecture publique, puisqu’elle est présidente de l’Association des Amis de la BDP de la Corrèze.

Sophie Dessus inscrit son action en faveur de la médiathèque dans le cadre de la responsabilité de l’élu par rapport à la population, ce qui signifie aussi bien le respect de la dignité des professionnels qui contribuent par leur métier au bien commun de la collectivité. S’agissant des projets à mettre en œuvre, comme le réseau de lecture publique à l’ère numérique dans un département, l’élu, pour réussir politiquement, doit travailler en grande confiance avec le professionnel, en l’occurrence, le bibliothécaire.

Après un temps d’échanges avec le public où se confirma que donner du temps au temps reste de pleine actualité, Philippe Pineau conclut en remerciant les acteurs de la table ronde d’avoir su prendre la mesure de la nécessité d’être extrêmement attentif à la communication et à la connaissance des missions des uns et des autres pour que le projet social et culturel à destination des populations porté par la médiathèque baigne en une douce sérénité. La médiathèque, dit-il, doit être le dernier lieu où le paisible s’arroge le droit d’exister.

 

Agnès Gastou, présidente du groupe, rappelait dans sa conclusion que les membres de l’Association des bibliothécaires de France du groupe régional restaient attentifs aux éventuelles difficultés vécues par certains collègues. L’écoute et la discussion sont les premiers outils dont disposent les bibliothécaires et les élus pour entretenir un lien durable au service des publics et de la lecture.

Cette journée se terminait par la visite de ce nouvel établissement qui a fait l’objet d’une concertation entre élus, architectes et bibliothécaires.

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