24/11/2006 - Compte rendu : Littératures francophones d'Afrique noire : écriture, édition, diffusion

 

Vendredi 24 novembre 2006
BDP des Bouches-du-Rhône - Marseille

Bernard Magnier nous présente son parcours et indique comment fut aiguisée sa curiosité pour ces littératures (découvertes d’auteurs vivants qui avec des mots neufs avaient des choses à dire et étaient impliqués dans la vie de leur pays).

Rappel aussi sur notre histoire littéraire et sur l’absence complète de l’Afrique dans cette littérature.

Ce n’est que vers les années 1903 qu’aux Etats-Unis on entend parler de William Dubois je suis nègre et je suis fier de ce sang noir.

En France, il faudra attendre la fin de la première guerre mondiale pour entendre parler des tirailleurs sénégalais, du traité de Versailles et du partage de l’Afrique... En 1921 le Prix Goncourt est attribué à René Maran, antillais, pour Batouala, ouvrage dans lequel il dénonce les abus du colonialisme français.

Les années 20 riment avec jazz, art nègre , on entend sur l’Afrique les voix de Blaise Cendrars, André Gide, Albert Londres, Michel Leiris...

Les années 30 sont marquées par la création de la Revue du Monde noir et de l’exposition coloniale (1931). Trois poètes (Léon Gontran Damas, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor) fondent la revue antillaise l’Etudiant noir (1932) et se fédèrent autour du concept de négritude « simple reconnaissance du fait d’être noir ». Après la seconde guerre mondiale, création de Présence africaine à la fois revue, maison d’édition et librairie.

Dans les années 50 se font entendre les auteurs qui sont aujourd’hui les classiques de la littérature africaine. Tous vont donner à voir le pays et ses habitants, ils racontent souvent leur propre histoire, mettent en valeur les valeurs africaines et critiquent la colonisation.

De Camara Laye (guinéen) L’Enfant noir (livre très politiquement correct) à Mongo Beti (camerounais) chantre d’une littérature engagée avec Le pauvre Christ de Bomba en passant par Ferdinand Oyono (camerounais) Une vie de boy, Le docker noir , Les bouts de bois de Dieu de Ousmane Sembène (sénégalais), Climbié de Bernard Dadié (ivoirien) ou L’Aventure ambigüe de Cheikh Hamidou Kane (sénégalais).

Les années 60 c’est le temps des indépendances, des espoirs mais aussi de certaines dérives. Le malien Yambo Ouologuem obtient le Prix Renaudot pour le Devoir de violence. Ahmadou Kourouma (ivoirien) avec Les Soleils des indépendances parviendra à africaniser la langue française en mêlant des expressions, voire des manières de penser malinké. Les prix qu’il obtiendra par la suite lui donneront une reconnaissance internationale : En attendant le vote des bêtes sauvages, Allah n’est pas obligé.

Les années 70 voient le temps des désillusions. Henri Lopès (congolais) Le Pleurer - rire, Sony Labou Tansi La Vie et demie, le guinéen Tierno Monenembo Les Crapauds - brousse. L’exil est le lot commun pour le guinéen William Sassine Le Jeune homme de sable. Citons aussi Emmanuel Dongala (congolais) Jazz et vin de palme qui écrira par la suite un livre sur les enfants soldats Johnny chien méchant, Boris Boubacar Diop (sénégalais) Le Temps de Tamango publiera l’un de ces livres en wolof.

Pour résumer les grands thèmes abordés entre les années 50 et 90 sont :

  • l’oralité, la tradition, le souhait de transcrire le patrimoine avec le malien Amadou Hampaté Bâ Amkoullel, Enfant peul, les Contes d’Amadou Koumba du sénégalais Birago Diop, l’épopée mandingue du guinéen Djibril Tamsir Niane Soundjata, la trilogie romanesque de Massa Makan Diabaté Comme une piqûre de guêpe.
  • l’autobiographie
  • la révolte contre le pouvoir colonial, contre les nouveaux maîtres...
  • le choc Afrique / Europe avec notamment le congolais Tchicaya U Tamsi « congaulois » qui sera l’un des premiers à revendiquer une parole individuelle , à affirmer son droit au "je".
  • l’écriture féminine à partir de la fin des années 70 avec les sénégalaises Mariama Ba Une si longue lettre, Aminata Sow Fall La Grève des battùs, Ken Bugul Le baobab fou et l’ivoirienne Véronique Tadjo qui écrit pour les adultes et les enfants.
  • l’émigration, thème longtemps absent, devient un thème récurrent. Alain Mabanckou Bleu, blanc, rouge, l’ivoirien Koffi Kwahulé avec une pièce de théâtre Bintou ; le polar, univers urbain avec ses zones d’ombres fait irruption sur la scène littéraire avec le congolais Achille Ngoye, le gabonais Bessora, Florent Couao-Zotti. Côté femmes avec Fatou Diom, Aminata Zaaria .

Le grand drame de l’Afrique c’est surtout le Rwanda. Quelques voix se font entendre avec Boris Boubacar Diop Murambi, Le Livre des ossements, Tierno Monenembo L’Aîné des orphelins, Abdourahman Waberi Moisson de crânes et Véronique Tadjo L’ombre d’Imana.

Les années 90 marquent la reconnaissance de ces littératures en France. On retrouve les aînés, Kourouma, Hampaté Bâ, Mongo Beti, Mabanckou et on assiste à l’émergence d’une nouvelle génération d’écrivains qui n’ont jamais connu la colonisation. Leur inspiration est plus cosmopolite, plus libérée et aussi plus intime. La plupart vivent en exil : le djiboutien Abdourahman Waberi se déclare « d’abord écrivain, accessoirement nègre », il choisit des textes courts, ciselés comme Balbala ; le togolais Kossi Efoui avec La Polka ; le camerounais Gaston-Paul Effa Tout ce bleu et le tchadien Nimrod insistent sur le fait de mettre la langue, l’écriture en valeur.

Les traductions : La place prépondérante revient à l’anglais avec surtout l’Afrique du Sud et le Nigéria (Wole Soyinka). Mais les lusophones ont aussi leur importance avec le Mozambique, le Cap Vert ou la Tanzanie.

 

La table ronde de l’après midi rassemblait autour de Pascal Jourdana, Pierre Bisiou ancien directeur de la collection « Motifs » du Serpent à Plumes et créateur des éditions Ubu, Bernard Magnier, Luc Pinhas de l’Alliance des éditeurs indépendants, Boniface Mongo MBoussa directeur de la revue Africultures. Le thème en était l’édition africaine aujourd’hui

La situation de l’édition africaine est difficile puisqu’on part de quasiment rien et qu’ensuite rien n’est prévu pour la diffusion du livre.

L’édition africaine n’a pu se développer qu’au cours des 40/45 dernières années sous l’impulsion de Léopold Sedar Senghor avec la mise en place d’éditions transnationales dont le bureau le plus important fut celui de Côte d’Ivoire.

Aujourd’hui 54 structures sont réparties dans un vingtaine de pays, on compte 1318 titres disponibles. Depuis une quinzaine d’années, de nouvelles maisons d’éditions ont été créées, leur production est surtout orientée vers la jeunesse afin de créer un public pour l’avenir.

Voir le site www.africultures.com, site de références sur les cultures africaines.

Du côté des librairies, il existe moins de 50 librairies sur le continent dont 15 en Côte d’Ivoire. De plus l’édition scolaire échappe aux librairies, elle est financée par des organismes internationaux qui font travailler des éditeurs du nord.

En France, si l’édition de livres sur l’Afrique se porte bien, elle s’exporte peu en Afrique pour des problèmes de diffusion : en littérature, il n’existe qu’un seul représentant africain pour toute l’Afrique, les auteurs ne sont pas distribués dans leur pays, de nombreuses structures naissent et n’apparaissent que pour un livre ou deux. Le manque d’une politique culturelle du livre se fait cruellement sentir.

On est donc dans une situation paradoxale ou dans ces pays il y a un foisonnement d’écrivains de talent mais ni maisons d’éditions, ni librairies. Il existe cependant un développement d’une littérature populaire de type Harlequin et d’autre part la possibilité de se procurer les livres dans les librairies par terre.

La situation des bibliothèques en dehors des bibliothèques des différents centres culturels n’est guère florissante. Par manque de budget, les collections ne sont pas renouvelées et les bibliothécaires manquent aussi de formation.

Des propositions existent : il appartiendrait à la francophonie d’impulser de véritables politiques publiques, d’aider à la diffusion, de créer des sociétés de cautionnement bancaire, d’aider à l’informatisation des librairies...

Des initiatives privées se font jour comme « Afrilivres » qui a lancé en 2002 une association d’éditeurs francophones d’Afrique sub-saharienne et regroupe 40 éditeurs. De même l’Association Internationale des Libraires francophones ; l’Alliance des Editeurs Indépendants qui fédère des éditeurs du nord et du sud dans une démarche solidaire et produit des co-éditions (sous le label « Le livre équitable ») proposant des prix différenciés selon les pouvoirs d’achat. Ceci permet aux éditeurs du sud de travailler ensemble et aux différents acteurs de la chaîne du livre de se prendre en main.

Voir le site www.alliance-editeurs.org

Régine Roussel - BDP des Bouches-du-Rhône

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