05/04/2004 - Compte rendu de la journée d'étude : Autour de la bande dessinée

 

Journée d’étude ABF PACA dans le cadre des Rencontres du 9e Art, à Aix-en-Provence

Autour de la bande dessinée

 

1. « Une trop bruyante solitude » : de l’adaptation en bande dessinée d’un roman à la création d’une exposition.
Lionel TRAN, écrivain et scénariste

LE ROMAN DE BOHUMIL HRABAL

Depuis trente-cinq ans, Hanta écrase de vieux livres sous une presse hydraulique. Il écrase, il boit, il écrase, il soliloque en déambulant dans les rues de Prague. Il s’est donné pour mission de sauver cette culture qu’il est chargé de détruire. Dans l’avalanche de livres qui se déversent dans sa cave, il fait son choix, arrachant les uns à la mort, réservant à d’autres un traitement moins ignominieux. Ce faisant, il prend du retard dans son travail. Rejeté, abandonné de tous, il ne lui reste plus qu’à rejoindre ses livres bien aimés...(Tous droits de reproduction du résumé, réservés aux éditions Robert Laffont)

Roman écrit et publié clandestinement en Tchécoslovaquie durant les années 1970, Une trop bruyante solitude fut perçu lors de sa sortie comme une dénonciation de la répression communiste. Avec le recul, le thème du vieillissement et du remplacement d’une culture par une autre apparaissent comme son véritable fond.

L’ADAPTATION EN BANDE DESSINEE

A l’époque sans emploi, Lionel Tran prend un Contrat Emploi Solidarité dans une imprimerie d’Etat, dans des conditions proches de celle dans lesquelles travaille Hanta, le personnage principal d’Une trop bruyante solitude. Pendant deux ans, il découvre le travail d’imprimeurs proches de la retraite qui ont été typographes, avant d’assister à la destruction de leur métier, remplacé par l’offset. Pendant les deux ans passés à l’imprimerie, à l’issue desquels Lionel Tran devient massicotier, il assiste à un nouveau bouleversement dans la vie de ces ouvriers du livre : l’arrivée des machines numériques, qui remplacent les Offsets. Ce contexte, proche de l’ambiance d’une trop bruyante solitude, aide Lionel Tran à peaufiner l’adaptation. Il fait venir Valérie Berge, photographe, à l’imprimerie, après avoir expliqué les bases du projet aux ouvriers qui acceptent qu’elle les prenne en photo pour l’album. Pour compléter ce travail, Valérie Berge prend des photos dans les quartiers ouvriers de Lyon. Pour extraire le script complet, Lionel Tran réécrit tout le livre et fait des choix par rapport à ce qu’il a vécu à l’imprimerie. Ambre, le dessinateur de la BD réalise les planches à partir du script et des photos. A partir de photocopies des photos de Valérie Berge, il fait des reconstitutions des photos trait à trait, à l’encre, avec une table lumineuse. La bande dessinée est finalement publiée par « Six pieds sous terre », éditeur de bande dessinée indépendant. Elle a reçu le prix Zazieweb 2003 de la Petite Edition.

L’EXPOSITION

L’exposition se compose de photos de Valérie Berge et de chapitres entiers de la bande dessinée. L’équipe a essayé de matérialiser l’allégorie du roman avec le décor : des piles de vieux livres récupérés chez des bouquinistes et des ballots de papier. Eric Terrier, un autodidacte de l’ingénierie numérique a réalisé un film de 14 minutes qui accompagne l’exposition. Ce film répercute dans l’exposition le bruit incessant de la presse à papier. C’est une parabole du travail de Hanta.

Pour en savoir plus...

Site de l’éditeur
Site d’Ambre

 

2. Un continent à explorer : le manga.
Julien BASTIDE, journaliste et critique de bande dessinée

HISTOIRE DE LA BANDE DESSINEE JAPONAISE

Les origines des mangas remontent au XIIème siècle avec les Ch?j?-giga, peintures faites par le moine bouddhiste Toba qui mettent en scène des animaux pour dépeindre les humains.
En 1814, Katsushika Hokusaï est le premier a utilisé le terme "manga"(GAH = image, MAHN » dérisoire) pour désigner un recueil de caricatures, les "Hokusaï Manga", composées de 16 volumes de dessins et croquis.

En 1870, sous l’ère Meiji (ère des lumières), deux caricaturistes occidentaux influent sur le style japonais : C. Wirgman (USA) introduit la séquence d’images et G. Bigot (France) introduit la bulle.
Ainsi en 1905, la caricaturiste Rakuten Kitazawa crée le premier magazine de bande dessinée japonaise satirique, le « Tokyo Puck ».
A cette époque apparaissent les premiers magazines de prépublications de mangas : « Shonen Club » (1914) destinés aux garçons et « Shojo Club » (1923) pour les filles.

Après la guerre, un nouvel auteur révolutionne la BD japonaise : Osamu Tezuka. En 1946, à travers le manga « Nouvelle île au trésor » (Shin takarajima), il impose un style graphique inspiré par les dessins animés de Walt Disney (personnages ronds, enfantins, aux grands yeux) et une nouvelle manière de raconter des histoires avec des techniques de narration très visuelles, proches du cinéma. Il est l’auteur de : Astroboy (Testuwan Atomu), Princesse Saphir (Ribon no Kishi) ou bien encore Metropolis (qui a été adapté en film d’animation).

Les autres dessinateurs vont s’inspirer de son style et c’est sous son impulsion que le manga va vraiment se développer.
Dans les années 1950, un style de mangas réactionnaire à Tezuka apparaît le « gekiga », terme inventé par le mangaka Tatsumi Yoshihiro, qui signifie image dramatique (GEKI = drame). Il s’agit de mangas abordant des termes plus réalistes, mais aussi plus violents, qui marquent l’apparition de magazines de prépublications de mangas destinés aux adultes et aux jeunes adultes.
Exemple de gekiga très populaire, « Ashita no Joe » de Chiba Tetsuya et Takamori Asao (1968) qui raconte l’histoire d’un jeune orphelin né dans un quartier pauvre de la capitale qui va tenter de s’en sortir par la boxe. L’auteur le plus représentatif du gekiga est Shirato Sampei. Ses mangas qui abordent le Japon ancien ont une forte imprégnation marxiste.
A la fin des années 60, apparaît un gekiga d’avant-garde dans le magazine de prépublication Garo.

Dans les années 80, c’est l’apparition d’un manga très célèbre « Akira » par Katsuhiro Otomo, qui témoigne d’un grand réalisme dans le dessin (par exemple pour la première fois les personnages japonais sont dessinés avec des yeux bridés). Par la suite, il adaptera son manga en film d’animation.
« Akira » est une histoire de science-fiction, dans Néo-Tokyo, où vivent Kaneda et sa bande de motards adolescents. Suite à l’accident d’un de leurs amis, Tetsuo, au cours d’une guerre des gangs, Kaneda et ses amis se trouvent entraînés dans une intrigue « politico-militaire » autour d’une arme secrète, le « mystère d’Akira ».

La publication de mangas au Japon passe d’abord par des magazines de prépublications de centaines de pages recyclées dans lesquels se trouvent les épisodes hebdomadaires de mangas. Il en existe environ 200 au Japon, adaptés à chaque public (enfants, jeunes filles, jeunes garçons, hommes, femmes...). Après la publication de plusieurs épisodes, le manga « livre » est édité.

COMMENT LA BANDE DESSINEE JAPONAISE EST-ELLE ARRIVEE EN FRANCE ?

Les mangas se font tout d’abord connaître en France par la diffusion de leurs adaptations en dessins animés.

En 1978, Atoss Takemoto lance un premier magazine de prépublication de mangas pour adultes le « Crie qui tue ». Après son arrêt en 1982, il faut attendre les années 90 pour voir arriver la publication des premiers mangas. En effet, la publication de mangas est complexe car elle nécessite d’abord une inversion des planches de BD (les Japonais lisant de droite à gauche), puis, un gommage des onomatopées (très nombreuses dans la langue japonaise) et enfin, un travail de traduction.

En 1989, Glénat publie Akira. Puis, l’éditeur enchaîne par la publication de mangas dont les dessins animés sont déjà connus comme « Dragon Ball ». D’autres éditeurs se lancent alors dans l’aventure : Kana avec la publication des « Chevaliers du zodiaque » et J’ai lu avec l’édition de « Ken, le survivant ».

En 1994, un nouvel éditeur, Tonkam publie des mangas non adaptés en dessins animés : Phénix de Osamu Tezuka, Amer béton de Matsumoto Taiyo... Casterman se lance dans la publication de mangas pour adultes avec les albums de Jiro Taniguchi. « Quartier Lointain » de Jiro Taniguchi reçoit l’Alph’Art du meilleur scénario au festival d’Angoulême 2003.

Une presse manga commence à se constituer avec Tsunami (épuisé), et AnimeLand. En janvier 2003, Sh?nen collection, le premier magazine de prépublication de manga est créé par les éditions Pika.

Les mangas publiés en France restent majoritairement destinés à un public adolescent.

SPECIFICITES DE LA BANDE DESSINEE JAPONAISE

Le mode de narration est cinématographique :

  • Entre deux images, le temps qui se passe peut être de quelques secondes : il y a une dilatation du temps
  • Il y a des variations extrêmes de points de vue, ainsi que des séquençages de l’histoire très divers.
  • Le sens de narration est différent des bandes dessinées françaises : les émotions des personnages passent uniquement par l’image. Pour une image très forte, l’auteur n’hésite pas à utiliser une pleine page voire une double page.
  • Les mangas sont des sortes de « romans-feuilletons », dans lesquels les auteurs disposent de beaucoup de pages pour raconter leur histoire.

La graphie :

  • Les personnages peuvent avoir plusieurs facettes : ils peuvent passer de proportions réalistes à des proportions humoristiques (grosse tête et petit corps).
  • Il existe une sorte de rupture entre la graphie des personnages (le dessin est focalisé sur les personnages) et la graphie des décors (avec l’utilisation à outrance parfois des lignes de vitesse rendant le paysage plus flou).
  •  La grande quantité d’onomatopées vient renforcer l’impact des expressions ; ce qui rend l’adaptation en français difficile.
  • Des planches de dessins de grisés ou de motifs, appelés "trames" sont utilisées pour souligner l’action.

Le rythme de travail des auteurs de mangas est très soutenu car ils doivent produire en moyenne une dizaine de planches pour les magazines de pré-publications hebdomadaires.

Quelques conseils de lecture...

Hikaru no go de Yumi Hotta
Tonkam Jeunes garçons Hikaru Shindo gravit progressivement les échelons pour devenir le meilleur joueur de Go de l’histoire hanté par le fantôme d’un illustre joueur : Sai.

Ping Pong de Toyio Matsumoto - Ed. Delcourt  - Jeunes garçons  
Histoire d’amitié sur fond de ping pong.

Nana de Ai Yazawa - Ed. Delcourt - Jeunes filles
Dans le Japon contemporain, l’histoire de deux jeunes provinciales prénommées Nana qui partent s’installer à Tokyo.

Nausicaä de la vallée du vent de Hayao Miyazaki - Ed. Glénat - Jeunes filles
Dans un monde en désolation, la princesse Nausicaä qui vit dans la pacifique « Vallée du Vent » et a le pouvoir de communiquer avec tous les êtres vivants, décide de s’engager pour sauver le monde.

Quartier lointain de Jiro Taniguchi - Ed. Casterman - Adultes et jeunes adultes
Un homme d’âge mûr, Hiroshi se retrouve transporté plus de 30 ans en arrière, à l’époque de ses 14 ans, sur les lieux de son enfance (situés dans la région de Tottori, ville natale de TANIGUCHI).

L’univers du Manga de Thierry Groensteen - Ed. Casterman
Une introduction à la bande dessinée japonaise. (édition épuisée)

Le phénomène manga - INTER CDI N°186, novembre-décembre2003

 

3. Des livres sur la bande dessinée...

L’équipe du CRFCB (Centre Régional de Formation aux Carrières des Bibliothèques) a présenté une sélection de livres pour consultation :

Gentile, C., Bulles en stock : bibliographie sélective et commentée de BD pour les 7-10 ans, 11-14 ans, 15-20 ans, CEDIS, 1998

Groensteen, T., L’univers des mangas : une introduction à la bande dessinée japonaise - Ed. Casterman, 1996

Maîtres de la bande dessinée européenne, sous la dir. de Thierry Groensteen, BNF - Ed. Seuil, 2000

McLoud, S., L’art invisible : comprendre la bande dessinée - Ed. Vertige Graphic, 1999

Mellot, P. et Moliterni, C., Chronologie de la BD - Ed. Flammarion, 1996 (Guide culturel)

Musée de la bande dessinée, La bédéthèque idéale : 2002-2003,2002

Peeters, B., La bande dessinée - Ed. Flammarion, 1993 (Dominos)

Peeters, B., Case, planche, récit, comment lire une bande dessinée - Ed. Casterman, 1991

Winckler, M., Super Héros - Ed. EPA, 2003

 

Virginie Lelièvre
CRDP de l’Académie d’Aix Marseille

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