29/11/2007 - Pratiques numériques : état de l'art en PACA

 

Dense, cette journée marathon, organisée par l’ADBS-Paca, les bibliothèques de Marseille et le groupe ABF-Paca, a drainé plus de 150 bibliothécaires, documentalistes et archivistes dans le cadre chaleureux de l’Alcazar à Marseille. Tous se sont montrés conscients de ce que Michel Roland, a résumé ainsi : à notre époque, nos métiers sont « en bêta perpétuel ! ».

Principes et réalité

A partir de l’interprétation de la vidéo de Michael Welsh, The machine is us/ing us http://fr.youtube.com/watch?v=6gmP4..., Michel Roland, modérateur, a introduit la journée sur ce paradigme : « Le Web 2.0, c’est la gestion de contenu web. » Il en tire six conséquences pratiques :
1. Penser distinctement les contenus et l’accès à ces contenus (la conception des interfaces) : « La gestion de contenu web impose une généralisation de la mise en bases de données ».
2. Corollaire : ces données et leurs structurations font la spécificité d’une organisation. La montée en puissance des métadonnées (tags, folksonomies) qui décrivent au plus près le document brouille déjà les frontières entre producteur et consommateur, professionnel et personnel, individuel et collectif. Ce n’est pas la fin de notre expertise, mais nous sommes conduit à nous repositionner et à formuler de nouveaux besoins de formation.
3. Les utilisateurs - pour l’instant, les plus aguerris - veulent recevoir l’information directement à la maison, voire être des acteurs de « nos » données (les fils de syndication (RSS) réalisant déjà cet objectif).
4. Ce qui implique la nécessité d’une veille autour des outils, qui doit se doubler de leur usage intensif... modifiant aussi les profils de nos métiers.
5. Un soin tout particulier doit donc être apporté à nos outils de diffusion (fils RSS, formats d’exports, widgets...) en respectant une nécessaire évolutivité - la fameuse version bêta à perpétuité ! - qui caractérise dorénavant toute application Web 2.0.
6. Un principe supérieur doit enfin toujours nous guider : celui de l’interopérabilité (possibilité de lire ou transférer sur n’importe quel support.

Après cette mise en perspective, Michel Roland a illustré, en évoquant les wikis, le fil rouge de la journée : montrer des expériences concrètes, loin de cette fantasmatique étiquette 2.0. Agissant également comme modérateur, j’ai présenté pour ma part le phénomène, la réalité et le dynamisme de la « biblio-blogosphère » francophone. Véronique Ginouvès (Maison Méditerranéenne des Sciences de l’homme) a poursuivi sur les principes des fils RSS et leur indispensable utilisation dans le cadre d’une veille documentaire : 10 % des informations sur le net changent tous les mois !

Bien commun

La densité de l’intervention suivante a séduit l’ensemble de l’auditoire. Dans « Bibliothèques et public en réseau », Hervé Le Crosnier, maître de conférences à Caen, ancien bibliothécaire et « papa » de la liste de diffusion biblio.fr, rejette le tag « web 2.0 » et préfère la notion de « web inscriptible » qui résume à elle seule l’idée principale de ces nouvelles pratiques numériques collaboratives : le lecteur est créateur, la lecture est active, tournée vers le partage . Il s’agit d’un formidable outil de libre expression qui modifie ainsi la relation à la documentation : l’émergence statistique (le buzz) et l’organisation de l’accès aux données par l’usage (lire, commenter, orienter...).
Après une typologie argumentée d’outils collaboratifs récents (flickr, del.icio.us, blogs et fils RSS, wikipédia, archives ouvertes, recommandation avec notamment le site Zazieweb, etc.), il a détaillé un certain nombre de pratiques sociales nouvelles. Celle, par exemple, du crowdsourcing qui consiste à faire travailler - « malicieusement ? » - les usagers, en ne déconsidérant pas automatiquement les qualités de l’amateur face au professionnel. C’est le pari de l’intelligence collective, illustrée par Wikipédia avec sa notion de partage d’un savoir non systématiquement fondé sur des arguments d’autorité - le métier de journaliste est lui aussi touché par des sites comme Agoravox ou Wikio - en concluant sur une belle formule : «  Le cœur du web est à sa périphérie  ».
Pour Hervé Le Crosnier, la nouvelle économie repose sur une économie de l’identité (réseaux sociaux, concept de la longue traîne...) qui s’appuie sur une nouvelle structure qu’il nomme le vectorialisme . Les vecteurs, les majors par exemple, sont les acteurs d’une triade de production coopérative qui font lien entre les producteurs (les artistes) et les facilitateurs (bibliothécaires, journalistes). Ils réalisent la formule warholienne où chacun connaitra son quart d’heure de gloire. Chacun participe alors à la création du bien commun, à sa gestion et à sa protection au service de la communauté. Débat ancien du droit d’auteur puisqu’il réanime un séculaire et délicat équilibre entre bien commun et domaine public. Pour Hervé Le Crosnier, les bibliothèques sont au cœur de cette alliance et doivent revenir à leurs missions centrales : conserver en archivant la Toile, permettre à tous d’y accéder, enfin, organiser la connaissance en utilisant les métadonnées, la recommandation ou la folksonomie. Il faut recontextualiser nos documents : c’est le concept de « redocumentarisation ». La coupure du repas fut pleine de ce panorama un peu déstabilisant tout de même devant la somme des interrogations soulevées.

Expériences, pêle-mêle

Après une pause repas bienvenue pour les participants déstabilisés par les interrogations du matin, les tables rondes de l’après-midi rendaient compte d’expériences pratiques. Trois nouveaux services numériques étaient à l’honneur.
Jérôme Pouchol, chef de projet à la Médiathèque du SAN Ouest Provence, présentait la conception et la mise en place du logiciel libre Koha. C’est le premier grand réseau de bibliothèques en France à avoir le statut de contributeur. Une belle réussite due tout de même à la mise en place de moyens exceptionnels, comme l’embauche de trois informaticiens spécialisés dans les langages des logiciels du libre - Jérôme rappelant judicieusement que libre ne voulait pas dire gratuit.
Annie Prunet, responsable du service questions/réponses Biblioses@me à Marseille, confirmait le succès durable de cette mise en valeur des savoirs et de l’expertise des bibliothécaires. Assurément une voie à renforcer en France.
Christophe Xicluna, de l’espace multimédia de la médiathèque de Martigues, et Pascale Furioli, responsable d’antenne de la télévision locale Canal Maritima, illustraient à merveille l’aspect collaboratif et transversal d’un projet qui rayonne sur un territoire local. « Je kiffe ma ville » est une émission diffusée sur le câble et sur Internet et réalisée par des web-reporters (des adolescents de la Ville de Martigues) qui réalisent entièrement chroniques et reportages avec l’aide attentive des médiateurs multimédia de la médiathèque et les journalistes de Canal Maritima.

La seconde table ronde débutait autour de l’offre et de la constitution de collections numériques. Martine Mollet, directrice du SCD Aix-Marseille 1, accompagnée d’Anne Dujol, son homologue du SCD Aix-Marseille 2, faisaient le constat désolant du poids et de l’impact d’Elzevier auprès des chercheurs, ce fournisseur hégémonique de la documentation électronique des BU attirant vers lui la presque totalité des budgets d’acquisition, au détriment d’un achat de manuels réclamés par les étudiants des premières années. Hégémonie poussée par ces chercheurs qui publient pour atteindre la reconnaissance puis demandent l’abonnement aux revues. Cercle destructeur ? Il ressortait qu’est venu le temps de trouver une alternative : de nouvelles formes de publications issues des licences creative commons, par exemple.
Stéphane Ipert, le directeur du Centre de Conservation du Livre d’Arles, présentait la bibliothèque numérique Internum, projet coordonné en partenariat avec la Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence. Son objet : valoriser, grâce aux nouvelles technologies, le patrimoine documentaire méditerranéen (livres, manuscrits, archives, documents graphiques et photographiques, oeuvres et objets d’art, enregistrements audiovisuels, enregistrements sonores, etc.) selon des thèmes précis, avec un effort de traduction important : huit langues disponibles des pourtours de la Mer d’Ulysse.
Enfin, last but not least, Martine Sambucco (SCD Aix-Marseille 1) dressait un bilan contrasté de l’offre de livres électroniques à destination des étudiants. Ceux-ci peuvent télécharger l’ouvrage disponible localement ou en ligne à partir des solutions proposées par Numilog et Netlibrary. Depuis 2005, sur une offre globale de 400 titres, 1010 sorties en deux ans ont été recensées. Si les utilisateurs sont satisfaits, Martine Sambucco regrettait le peu de représentation des éditeurs français, l’absence des livres recommandés par les enseignants et une édition électronique souvent antérieure à la version papier. Un comble !

Les modérateurs concluaient la journée sur une impression et une proposition pour l’avenir. Bibliothécaire en BU, Michel Roland faisait part de son impression, dégagée au cours de la journée, que les BM avaient rattrapé, voire dépassé, les établissements universitaires. J’évoquais quant à moi la constitution du groupe de travail Bibliothèques hybrides au sein de l’ABF pour promouvoir le « Web inscriptible » dans les bibliothèques de France et d’ailleurs, échanger et former sur ces nouvelles techniques, et imaginer enfin la bibliothèque d’après-demain. Les organisateurs ont décidé de proposer une nouvelle édition l’an prochain...
A bientôt, donc...

Franck Queyraud,
BM de Saint-Raphaël.
Merci à Michel Roland et Virginie Chaigne (BMVR)pour leurs notes qui m’ont aidé à résumer cette journée de folie !

Les présentations des intervenants sont sur les blogs :
La mémoire de Silence
http://memoire2silence.wordpress.co...
et
Bibliothécaire
http://bibliothecaire.wordpress.com....

A lire aussi :

Hervé Le Crosnier, « De la promesse à la menace : bibliothèque et accès aux connaissances », Bibliothèque(s), n°36, déc. 2007, pp. 35-37.

Et l’ensemble du n° 36 de Bibliothèque(s)consacré aux bibliothèques hybrides.

Nous contacter / Nous suivre