La Formation des usagers des bibliothèques publiques aux outils informatiques est une nécessité

 

Date de publication : 01/09/2011

Bibliothèques hybrides, bibliothèques 2.0, les  bibliothèques publiques misent sur  l’accroissement de leur offre numérique et la mise en ligne de services innovants pour conquérir sans cesse de nouveaux  publics.
Cependant pensent-elles vraiment aux publics ?  Trop nombreux sont encore les usagers - loin d’être des digital natives - qui n’utilisent pas ou peu ces ressources numériques mises gratuitement à leur disposition et qui n'accèdent pas à ces nouveaux outils faute de pouvoir les maîtriser .
"A quoi bon constituer de telles collections et les mettre à disposition  d'usagers qui n'ont pas les clés pour en profiter pleinement ? Ce serait comme proposer des collections de livres à une population d'analphabètes et rester les bras croisés en s'étonnant qu'ils ne soient pas consultés" [J.C.Brochard]
Pourtant, si la mise en place de  formations, adaptées aux  besoins des usagers pour qu'ils s'approprient ces outils,  apparaît  être une évidence pour de nombreux établissements, elle n'est pas toujours facile. Et s'il est devenu indispensable de  faire accepter aux personnels des bibliothèques la nécessaire mutation de leur métier, en lien avec l’évolution de ces technologies et de les  former en conséquence, il n'est pas toujours possible de leur faire jouer le rôle de formateurs.
 

Des formations adaptées aux usagers
La plupart des internautes naviguent à vue dans la galaxie Internet dont les contours leur demeurent flous. L'arrivée du tout numérique laisse de côté celles et ceux qui n'ont pas l'habileté ou les moyens de pratiquer les outils informatiques et ne fait que creuser chaque jour un peu plus le fossé qui sépare les  digital natives des digital immigrants. Et même si la fracture numérique est certes générationnelle, elle touche surtout ceux qui sont complètement déconnectés de l'activité numérique.
Les bibliothèques ont un rôle essentiel à jouer avec des formations adaptées à tous leurs publics.  Leur offrir le libre accès à Internet et aux collections numériques ne suffit pas, si elles ne  favorisent pas leur autonomie : celle-ci passe par l'acquisition des compétences numériques de base, dans un environnement qui requiert l'utilisation de la souris pour la moindre petite recherche.
Les Seniors, ont surtout besoin d'être rassurés et accompagnés pas à pas dans cet univers qui leur est totalement étranger. Du maniement de la souris et du clavier en passant par la lecture sur écran, l'ergonomie d'un ordinateur ne facilite pas leur apprentissage.
L' utilisation des outils du Web est pourtant essentielle pour eux, à la fois pour éviter l' isolement, renforcer les liens, combler le vide, voire  la  distance comme dans le cas d’une grand-mère qui suit le blog de sa petite fille...


Les populations récemment immigrées ou les publics en difficultés sociales, qui ont du mal à s’y retrouver, ont une demande plutôt tournée vers la navigation sur Internet qui en plus de leur ouvrir les portes de la communication et de l'échange, leur permet d'accéder aux services et à la culture et devient indispensable pour une recherche d'emploi.


Quant à génération Y qui a grandi au milieu des téléviseurs, ordinateurs, consoles de jeux, écrans de téléphones portables et de la dématérialisation des contenus, son rapport à la culture est totalement différent de celui des générations précédentes. Elle a besoin d'être accompagnée dans la jungle du Web pour décoder les infos des intox, se forger un jugement parmi le matraquage massif d'images et de textes qu'elle visualise sans effort et sans discernement, concentrer son attention pour une recherche efficace.
Pour tous, enfin il s'agit d'accéder à une citoyenneté digitale.


Bibliothécaire formateur, ou l'évolution d'un métier
Les activités liées au numérique en bibliothèques ont entraîné de nouveaux bouleversements dans les tâches quotidiennes des personnels. Leur mission est désormais celle d' aider leurs usagers à utiliser les nouvelles ressources du catalogue, localiser et analyser également l’information en ligne, interpréter les résultats d’une requête d’un moteur de recherche.
Cependant  la majeure partie d'entre eux n’a jamais été formée aux technologies du numérique et ne les maîtrise pas suffisamment pour jouer pleinement ce rôle .
"Dans notre  métier, en ce qui concerne l’usage et la connaissance de ce type d’outils, le gap entre les geeks et bibliothécaires technophiles et les non-geeks et non-technophiles est immense", commente  un internaute sur Marlen's corner.
Et comme l'a  dit Alan Curtis Kay informaticien américain célèbre : la technologie, c'est tout ce qui a été inventé après votre naissance.

D'autre part, si le manque crucial de formation se fait sentir pour le personnel, les fréquents blocages des accès aux outils du Net qu'il subit sur son lieu de travail, ne l' incite pas à améliorer ses compétences. Il serait temps que les directions des services informatiques des  communes admettent la nécessité  professionnelle d'accéder aux sites de social bookmarking comme Diigo ou Delicious, et aux réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter, sur lesquels les bibliothèques sont pourtant de plus en plus présentes à la rencontre de leurs publics.
Les "crapauds" ont beau être fous ...
 

Les  problèmes liés à l'organisation de ces formations
Des offres de formation et de médiation existent déjà dans de nombreuses bibliothèques de lecture publique mais celles-ci ont parfois du mal à y consacrer des moyens et à y affecter du personnel.

Une enquête menée par Carel en 2009 dans plusieurs villes, autour du développement du numérique, met en évidence ces difficultés et la volonté des équipes des établissements à trouver des solutions .
S'il faut disposer d'un nombre suffisant d'ordinateurs pour proposer des formations, il faut également les programmer à des heures satisfaisant les publics visés et missionner du personnel d'encadrement formé et motivé.
Hors, la plupart des bibliothèques publiques a déjà du mal à gérer le planning de son personnel pour les tâches quotidiennes, et se heurte aux contraintes des horaires d'ouverture au public. Si les séances n'ont pas lieu dans un espace dédié, et tous les établissements n'en possèdent pas, elles peuvent générer des nuisances pour ceux qui n'y participent pas.
Certaines bibliothèques ont ainsi recours à des animateurs multimédia  pour animer des ateliers dans des espaces  parfois délocalisés. D'autres font intervenir divers partenaires sociaux de la commune, d'autres encore demandent une contribution minime à leurs adhérents afin de les financer alors que la gratuité devrait s'imposer.
 

Exemples réussis et initiatives originales
Comment accompagner ceux qui sont le plus  éloignés de la technologie dans l’usage du numérique ?

Avec son offre exceptionnelle de e-learning, l’espace d’auto-formation de la Bibliothèque Publique d’Information sert de référence pour le développement de ces services. La Bibliothèque des Sciences et de l'Industrie propose également un "carrefour numérique" . D'autres bibliothèques ont suivi l'exemple, mais ce système demeure onéreux pour beaucoup d'entre elles, surtout pour les structures des petites communes.

De plus, pour des usagers qui ne maîtrisent pas ou peu l'informatique et manquent justement cruellement d’autonomie, l’apprentissage en ligne n’est pas chose aisée.
 

Le développement d’ateliers de formation diversifiés, au nombre de participants réduits, confirme que cet accompagnement répond mieux à leur attente et à leur besoin d’être guidés et rassurés tout au long de leur  découverte des outils informatiques.

Pour un public plus avancé, l’émulation du groupe est souvent  propice à stimuler sa capacité d’apprentissage .

Des forums de discussion, avec questions-réponses pour résoudre les  difficultés liées à la  pratique quotidienne des outils, des séances de formation et d'information organisées régulièrement pour présenter les nouvelles ressources de la bibliothèque, sont autant d'exemples encourageants à suivre .

Mais l'offre reste souvent insuffisante face à la demande grandissante des publics intéressés.

 

Comment faire avancer le processus de formation au numérique du personnel des bibliothèques?

Une joyeuse bande de bibliothécaires technophiles dont l’addiction au tout numérique est de notoriété publique pour le plus grand bonheur de la profession, a concocté un formidable bouillon dont ils ont la recette secrète : Biblioquest, la trilogie du changement ! en collaboration avec le CNFPT ENACT de Nancy, une formation en 3 épisodes à destination des cadres A (directeurs ou adjoints) "parce que décréter le changement c’est bien, l’impulser, c’est mieux."

L’expérience du blog Bambou menée par  Jérôme Pouchol sur la Médiathèque Intercommunale Ouest Provence. destiné aux collègues du réseau dans un premier temps, puis devenu public, et celle de Chermedia l'agora des bibliothécaires du Cher, où  la participation de chacun passe par la formation aux outils dans le but d’animer le portail, sont de belles réussites stimulantes.

Une autre initiative québécoise originale comme exemple à suivre : Le camp web 2 pour bibliothèques est une formation en ligne individuelle pour le personnel des bibliothèques pour découvrir les outils technologiques Web 2 courants pour utilisateurs débutants ou intermédiaires, organisé par des bibliothécaires formateurs.

Les choses bougent : Le 10 janvier 2011, au Centre Georges Pompidou à Paris, les groupes Paris et Ile-de-France organisent la deuxième journée d'étude du cycle "Les bibliothèques à l'heure du numérique". Cette journée aura pour thématique : "Nouvelles compétences, nouveaux métiers ?" et traitera de l'émergence de nouveaux profils professionnels, qui obligent à penser des organisations inédites et nécessitent des formations adaptées.
 

Penser différemment notre métier de bibliothécaire et mettre l'accent sur de nouveaux services d'aide et d'accueil, qui se substitueront à d'autres services devenus automatisés, devient le principal challenge à tenir pour les bibliothèques publiques dans les années à venir, si elles ne veulent pas voir leurs publics les déserter.
En conclusion, je citerai Lionel Dujol, l’auteur de la théorie du" crapaud fou appliquée aux bibliothèques  "Débattre sur la bibliothèque 2.0 c'est bien, l'expérimenter c'est mieux".

Elizabeth Ravoux

 

Pour aller plus loin :