Par Julien COLIN, responsable des contenus numériques à la Médiathèque départementale du Puy-de-Dôme
Avec le web, le livre est devenu protéiforme. Les technologies de l'information et de la communication ont permis une libération des modes de production et de diffusion.
Aujourd'hui, il existe une grande variété d'offres et de services autour des livres numériques. Les modalités d'accès, les formats, les acteurs ou encore les technologies et les appareils de lectures se sont multipliés. Et la situation est loin d'être stabilisée. Elle continue d'évoluer, entraînant toujours plus de questionnements tant sociologiques que juridiques, tant technologiques qu'économiques, tant éthiques qu'écologiques.
" Les modalités d'accès, les formats, les acteurs ou encore les technologies et les appareils de lectures se sont multipliés "
Si cette profusion est le fruit d'une plus grande liberté de création, elle brouille aussi la lisibilité de l'offre éditoriale digitale. Les bibliothèques qui voudraient se lancer dans la mise en place d'une offre de service autour du livre numérique se confrontent alors à l'ensemble de ces problématiques. Vient aussi s'ajouter celle concernant le système d'information, moteur souvent indispensable pour l'accès aux ressources numériques. Du point de vue de la relation qu'entretient la bibliothèque avec son prestataire de logiciel, trois situations se dégagent : les livres sous licences ouvertes, les offres de fournisseurs de ressources numériques centrés sur le livre et le cas du Prêt Numérique en Bibliothèque (PNB pour les intimes).
Dans le premier cas, concernant les œuvres du domaine public ou les créations contemporaines sous licence libre, la diffusion va s'organiser de manière plus ou moins intégrée au portail web de la bibliothèque. Premièrement, quand il existe un accès direct aux fichiers sources, l'utilisation de dispositifs autonomes (bibliobox, clé USB ou liseuse préchargées…) s'envisage facilement et sans implication de l'éditeur de progiciel de gestion de bibliothèque. Ensuite, il est aussi possible de rendre accessible ce type d'offre depuis le portail de la bibliothèque. La création d'une page web référençant les offres de livres gratuits et sous licences ouvertes reste une solution simple et efficace. Sinon, on peut aussi envisager de cataloguer les livres sous licence creatives commons pour les intégrer à l'OPAC. Des sites comme bibebook.com par exemple proposent même leurs notices bibliographiques au format unimarc. Les fichiers restent hébergés sur le site d'origine et la notice permet de référencer le document au sein des collections. Néanmoins, le paramétrage de l'import et une grille de catalogage spécifique sont à discuter avec votre prestataire. Pour aller encore plus loin, la mise en place d'une Gestion Électronique de Documents (GED) est aussi une option à envisager. Le fichier est alors stocké par la bibliothèque, favorisant la pérennisation des accès. La mise en place de cette fonctionnalité est alors nécessairement plus conséquente en termes de temps et de tarifs. Une mutualisation des projets est certainement à réfléchir pour éviter la multiplication des bases. Quoi qu'il en soit, l'intégration des notices offre une plus forte corrélation des livres numériques avec le reste de la collection et les autres services de la bibliothèque. Dans le cadre du modèle LRM-FRBR, elle permet même de rassembler les manifestations physiques et numériques, ou de modéliser des liens d'œuvres adaptées (dans le cas du cinéma par exemple). Les portails s'enrichissent ainsi d'une dimension d'information documentaire plus large.
" Quoi qu'il en soit, l'intégration des notices offre une plus forte corrélation des livres numériques avec le reste de la collection et les autres services de la bibliothèque "
D'un autre côté, il existe aujourd'hui de nombreuses offres commerciales proposant du livre numérique aux bibliothèques. Sur le principe de l'abonnement, le fonctionnement de ces offres se rapproche des autres ressources numériques comme la vidéo à la demande, ou l'autoformation. Concernant les systèmes d'informations, ils sont impactés à deux niveaux : dans la mise en œuvre d'un système d'authentification, et potentiellement pour l'utilisation de connecteurs de recherche. Pour l'authentification, il existe trois possibilités. La plus simple est la reconnaissance de l'adresse IP publique de connexion de la bibliothèque. Ce paramétrage est opéré par le fournisseur de ressources numériques. Dans ce cas, seules les consultations dans l'enceinte de la structure sont concernées. Par ailleurs, l'authentification peut aussi se faire par l'utilisation d'une adresse web de référence (système URL referer). Une fois connecté au portail, l'usager peut rebondir vers la ressource souhaitée sans avoir besoin de renouveler sa connexion. Un développement simple est à opérer côté logiciel de gestion de la bibliothèque. Enfin, l'authentification unique (SSO : Single Sign-On) via des systèmes de type CAS (Central Authentification Service) peut aussi être déployée pour transmettre la connexion de l'usager. Ce système permet d'envoyer un plus grand nombre d'informations au fournisseur et donc d'obtenir des statistiques plus fines, mais requiert plus de développement. Dans tous les cas, des connecteurs ont déjà pu être fait pour d'autres bibliothèques, alors n'hésitez pas à mener l'enquête.
En matière de recherche, deux principales solutions sont possibles. Certains fournisseurs proposent de la recherche fédérée. Pour une seule recherche usager, le SIGB interroge le catalogue de la bibliothèque et celui du fournisseur en parallèle. Il ramène alors les réponses au sein de la même page web, dans deux zones différentes. Sinon, il existe la possibilité d'utiliser un webservice pour intégrer régulièrement la base du fournisseur dans le catalogue de la bibliothèque. Les données bibliographiques des documents numériques et physiques sont rassemblées au même endroit, simplifiant la recherche usager et favorisant la sérendipité. En revanche, un important travail d'alignement des données est nécessaire pour harmoniser les résultats.
" Pour une seule recherche usager, le SIGB interroge le catalogue de la bibliothèque et celui du fournisseur en parallèle "
Pour finir, le dispositif pour le Prêt Numérique en Bibliothèque (PNB) apparaît comme un système à part. Le principe général est de rassembler l'interprofession autour d'un projet commun. Opéré par Dilicom, PNB s'incarne dans un hub permettant les échanges entre les diffuseurs (éditeurs), les revendeurs (libraires) et les bibliothèques. On retrouve sur le site dédié à l'opération la liste des différents partenaires. Pour les prestataires, le site précise également leur éventuelle migration vers la V3 de PNB. En effet, cette nouvelle version devrait remplacer la précédente, a priori maintenue jusqu'en juin 2020. Elle propose des améliorations dans le suivi des prêts et des jetons. Elle instaure aussi le déploiement du nouveau verrou LCP, en complément de ceux d'Adobe et de Sony. De plus, on trouve une nouvelle interface permettant l’échange d’informations entre certaines applications de lecture et le portail de la bibliothèque.
Concrètement, la librairie est chargée de transmettre les commandes à Dilicom et de suivre la facturation. De son côté, le système d'information intègre les notices bibliographiques des titres achetés et récupère l'état des commandes pour permettre le suivi des jetons des licences. Reste ensuite la gestion des multiples requêtes pour la demande de prêt, le retour anticipé, l'éventuelle prolongation …
Les métadonnées bibliographiques sont fournies en ONIX, un format peu connu des bibliothèques dont la richesse ne facilite pas les alignements vers l'unimarc ou le RDA-Fr. Un travail d'analyse précis est nécessaire pour récupérer à chaque fois la vignette ou le résumé, par exemple. Par ailleurs, si l’interfaçage est établi une fois pour toutes quel que soit ensuite le nombre de bibliothèques, la tarification du raccordement n'est pas simple à déterminer et varie d'un prestataire à l'autre. Aux éventuels frais de mise en service s'ajoutent aussi un abonnement annuel à Dilicom et bien sûr un budget d'acquisition. La gestion de ce dernier demeure complexe puisque les bibliothèques ne maîtrisent pas les jetons attribués à chaque titre.
Ainsi, il apparaît que la filière livre n'a pas fini sa transition numérique et que la situation n'est toujours pas stabilisée. Aux anciennes problématiques, comme les questions d'accessibilité ou de protection des données personnelles, viennent s'ajouter de nouveaux questionnements avec le développement des formes de créations littéraires tels que les roman-Tweeter, les bandes dessinées Instagram, la réalité augmentée, les livres applications, les livres hybrides... Face aux nombreux défis qui restent encore à relever, les bibliothèques ont un vrai rôle à jouer dans le développement du livre numérique.