Rendre la littérature numérique vraiment accessible en bibliothèque

 

Par Philippe AIGRAIN, président et Guillaume VISSAC, directeur éditorial des Éditions publie.net littérature{s}

Rendre les livres numériques vraiment accessibles aux usagers des bibliothèques pour que la synergie entre les divers modes de lecture se développe enfin.

Les Éditions publie.net littérature{s} ont un catalogue de plus de 700 titres de littérature contemporaine francophone en numérique, étendu d’une vingtaine de titres supplémentaires par an et faisant l’objet de mises à jour régulières sur les titres anciens. Nous sommes par ailleurs l’éditeur de référence de la préfiguration du dépôt légal du livre numérique. Il n’est donc pas étonnant que, depuis près de 10 ans, nous ayons cherché à rendre possible la lecture en bibliothèques de notre catalogue, au départ en simple lecture en ligne (streaming). Depuis plusieurs années, à la demande des établissements souhaitant dépasser les limites du streaming, nous avons développé une nouvelle offre permettant aux usagers d’accéder à ce catalogue par le biais d’internet, ou sur des liseuses ou tablettes. L’originalité de notre approche est de reposer sur une licence au titre du droit d’auteur aux bibliothèques abonnées à notre offre, les autorisant à mettre à disposition de leurs usagers les fichiers correspondants aux livres numériques, sans DRM.

" Nous autorisons les bibliothèques abonnées à notre offre à mettre à disposition de leurs usagers les fichiers correspondants aux livres numériques, sans DRM "

Il ne s’agit donc pas d’un prêt au sens du droit européen et français. Les contrats que nous passons avec les auteurs et artistes autorisent cet usage (ils l’ont choisi sans exception) et leur garantissent une rémunération par la redistribution équitable d’un pourcentage élevé du chiffre d’affaires des abonnements de bibliothèques (ou de particuliers). L’abonnement des bibliothèques est annuel. Si une bibliothèque choisit de ne pas se réabonner, l’autorisation de mise à disposition prend fin, mais les usagers qui ont téléchargé un livre peuvent le conserver, de même que l’établissement à des fins d’archivage. Pour les accès par le biais d’internet, nous avons développé une plateforme en ligne offrant un ensemble de mécanismes d’authentification des usagers de façon à réserver l’accès aux usagers enregistrés dans la bibliothèque abonnée : serveur CAS, accès par adresse IP et reverse proxy, simulation de connexion à la bibliothèque. Le prix de l’abonnement est modulé en fonction du bassin de population desservi pour les bibliothèques ouvertes à tous publics et du nombre d’usagers enregistrés pour les bibliothèques spécialisées.

Nous sommes par ailleurs très sensibles au fait qu’un catalogue de littérature contemporaine, aussi large et passionnant soit-il, ne suscitera l’intérêt des lecteurs et lectrices d’une bibliothèque que s’il y est activement promu et associé à des pratiques de médiation. Nous ne fournissons pas nous-mêmes ces services culturels, mais nous nous efforçons d’aider les bibliothèques intéressées à prendre contact avec des auteurs ou des structures actives dans leur région. Pour faciliter ces pratiques et la découverte par les lecteurs, notre plateforme inclut un vaste ensemble de contenus augmentés et de liens vers des contenus externes : enregistrements de lectures, recensions des livres, entretiens d’auteurs.

" Un catalogue de littérature contemporaine ne suscitera l’intérêt en bibliothèque que s’il est activement promu et associé à des pratiques de médiation "

 

 

 

 

 

 

 

Le petit poucet des Éditions publie.net littérature{s} n’est pas en guerre contre le PNB. Nous avons d’ailleurs autorisé notre distributeur de livres numériques (Immatériel) à offrir nos titres par le biais du PNB, et nous sommes donc en situation de mesurer l’absence totale d’intérêt de ce système pour un éditeur indépendant et ses auteurs. La prédominance de ce mode d’accès aux ressources numériques littéraires dans les grandes bibliothèques a pour effet d’étendre aux ressources numériques la concentration de l’accès sur des titres phare, alors qu’on pouvait espérer un accès plus diversifié dans l’espace numérique. Nous nous heurtons également au fait que certaines bibliothèques font passer tous leurs achats de ressources numériques par un appel d’offre centralisé. Il leur est cependant possible de demander dans le cahier des charges les conditions auxquelles elles peuvent fournir l’accès à des catalogues comme le nôtre. Ces difficultés n’empêchent pas de bonnes perspectives de développement pour notre offre. Nos clients actuels sont très divers : bibliothèques universitaires (y compris à l’étranger), médiathèques d’agglomération de taille moyenne et médiathèques départementales. Ce dernier segment nous paraît particulièrement porteur, ce qui nous a conduits à rendre notre offre complètement interopérable avec le portail Orphée de C3RB qui y est très présent.

La mise à disposition de nos livres et de nos fichiers par le biais des bibliothèques et des collectivités participe de notre volonté, dans l’espace littéraire et éditorial, de proposer des livres qui déplacent la notion de genre, qui se jouent de l’hybridité des supports pour composer un territoire intermédiaire qui fasse dialoguer les formes. Notre pratique du livre numérique n’est donc pas principalement homothétique, comme dans la quasi-totalité de la profession, et nous aimons explorer les possibilités de création propres au numérique (récits non linéaires, différentes possibilités de navigation au sein d’un même texte, versions différentes d’un même livre en imprimé et en numérique, possibilité de prolongement des textes par le biais de sites web compagnons, etc.). En déplaçant les principes de partage et d’accès aux livres via les bibliothèques, en permettant aux collectivités d’être un acteur majeur de la médiation et de l’accès à nos livres, nous effectuons le même déplacement que nous tentons de mettre en pratique dans nos livres : en tâchant de détourner les outils standardisés d’accès au livre (le format epub, les plateformes d’accès à distance) pour le réinvestir par et pour la littérature.

Il serait raisonnable d’étendre notre approche à d’autres acteurs partageant les mêmes valeurs et le même attrait pour la littérature de création que nous et qui le souhaiteraient : par exemple en mettant en place un système mutualisé entre éditeurs ayant un catalogue littéraire numérique significatif et fonctionnant sur les principes de notre offre. D’autres mondes et d’autres modes d’accès au numérique sont possibles : les expérimenter ensemble permettrait de diversifier le paysage actuel bouché par la best-sellerisation des esprits et les cycles de vie toujours plus courts des livres dans les circuits de vente classiques.

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