Pour des bibliothèques de qualité dans les prisons françaises - 25 octobre 2012

 

Avec le soutien du Service du livre et de la lecture – Direction générale des médias et des industries culturelles – Ministère de la Culture et de la Communication

Jeudi 25 octobre 2012
Médiathèque Marguerite Duras
115 rue de Bagnolet - Paris 20e
M° : Porte de Bagnolet, Gambetta (ligne 3)
T 01 55 25 49 10

 

La journée d’étude proposée par l’ABF a rassemblé 117 participants. Après les paroles de bienvenue de Christine Péclard, directrice de la Médiathèque Marguerite Duras, très attachée à la problématique des publics dits empêchés, le directeur du Livre et de la Lecture, Nicolas Georges précise les objectifs de la rencontre : « réfléchir aux solutions à mettre en œuvre pour que les bibliothèques de prison deviennent des bibliothèques à part entière et jouent pleinement le rôle qui doit être le leur au sein des établissements carcéraux ».
Rappelant que le droit à la culture est un droit fondamental – article 27 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme – et que les textes législatifs en vigueur ont inscrit la nécessité pour les prisonniers de disposer d’une bibliothèque, il définit les objectifs et les enjeux : l’égalité d’accès aux services culturels entre les personnes détenues et le reste de la population.

Vanessa Van Atten (SLL) et Nathalie Faure (DAP) développent ensuite les avancées du partenariat Culture/Justice, la première en déclinant les éléments de la fiche technique n° 4 de la Circulaire d’application du 3/05/2012 (BO N°210 - mai 2012 - p.23 à 29 ) concernant les bibliothèques des établissements pénitentiaires, la seconde en révélant les résultats de l’enquête lancée en 2010 par l’Administration pénitentiaire auprès des établissements. Des données importantes permettent d’évaluer les progrès à réaliser. Notons que la fiche technique pose une exigence : que les bibliothèques de prison soient des établissements de qualité et possèdent des services comparables aux bibliothèques de proximité ; les animations proposées devant mettre les détenus en position d’acteurs.


La question Les bibliothèques de prison, des bibliothèques comme les autres ? est posée à :

Patrick Rigolet, conseiller SPIP en Bourgogne. Il dresse un tableau assez sombre de l’existant en matière de fonctionnement des bibliothèques pénitentiaires en termes d’espace, de budget, et de personnels qualifiés, constatant que les liens avec les bibliothèques publiques sont limités. Pourtant les textes existent, dit-il ; il n’y a plus rien à inventer. Il faut seulement une volonté politique, de l’Etat, et des collectivités territoriales pour que la bibliothèque carcérale soit le lieu central de la culture. Et de louer « le document rédigé en janvier 2012 par le groupe de travail de l’ABF qui correspond tout à fait à la réalité des choses et à ce qu’il faut faire. »

Christine Loquet, bibliothécaire chargée d’une mission pour les publics éloignés du livre en Bretagne. Elle dégage plusieurs points positifs : les conventionnements entre partenaires, notamment établissements pénitentiaires-bibliothèques territoriales, la présence de coordinateurs culturels dans chaque prison,  la possibilité d’organiser la formation des auxiliaires bibliothécaires par l’ABF, citant l’exemple de la prison de femmes de Rennes où une personne a pu obtenir la VAE, l’organisation de projets communs, comme le festival de la BD de Saint-Malo. Pour autant la bibliothèque, lieu pivot de la culture en prison, connaît une existence compliquée en termes d’implantation, de locaux, de surface, de qualité d’accueil – elle insiste sur la convivialité de l’espace -, de budgets d’acquisition, de choix documentaires en fonction de la langue des détenus. Oui, les bibliothèques de prison devraient être des bibliothèques comme les autres.

François Rouyet-Gayette, chargé de mission au CNL, présente les missions de l’institution définie par le décret de 1993. Concernant plus particulièrement les bibliothèques d’établissements pénitentiaires, il souligne la diminution de l’intervention du CNL ces dernières années. Mais une évolution est possible, ce qui suppose une certaine cohérence entre la nature du projet, sa présentation, son évaluation et son exécution.


Désirée Frappier anime la table ronde intitulée Regards croisés sur le métier de bibliothécaire en prison avec :

Valérie Briley (BM Poitiers / D’un livre l’autre). La BM de Poitiers intervient au Centre Pénitentiaire de Poitiers Vivonne (560 détenus) à hauteur d’un temps plein réparti sur 2 agents.

Marianne Terrusse (BDP Gironde) qui intervient avec une collègue à la maison d’arrêt de Gradignan (400 détenus).

Eric Frigerio (BDP Essonne). Une équipe de 6 agents intervient régulièrement à Fleury-Mérogis pour la formation des auxiliaires des bibliothèques et pour des dépôts de livres.

Nelly Tieb. Bibliothécaire retraitée, bénévole et fondatrice de Lire c’est vivre, association qui gère et anime les 10 bibliothèques de Fleury-Mérogis (4000 détenus) avec une équipe de professionnels salariés et retraités.

Christophe de la Condamine ex auxiliaire en maison d’arrêt, auteur de Journal de taule  L’Harmattan, 2011

Les grands axes du débat portent sur les points suivants :

L’engagement des institutions et l’engagement personnel
L’engagement des bibliothèques partenaires des établissements pénitentiaires (ceux-ci ont la faculté de les solliciter) est à l’heure actuelle très variable. Certaines ne nouent aucun partenariat, d’autres se contentent de déposer des cartons à l’entrée de la prison, d’autres encore font le choix d’intervenir en détention avec du personnel qualifié sur une durée allant de quelques heures par mois à l’équivalent d’un temps plein. Bien qu’il s’agisse d’une mission de service public, le travail en détention doit être basé sur le principe du volontariat et ne doit pas reposer sur un seul agent.

La formation des auxiliaires
La formation des auxiliaires de bibliothèque est considérée comme fondamentale. Elle est cependant difficile à mettre en place car le turn-over est important surtout dans les maisons d’arrêt.

Quelques expériences remarquables :

  • Depuis 2004, Lire c’est vivre  propose une formation de 250 h de mars à janvier, délivrée par le CNAM avec la BDP pour la partie bibliothéconomique. Le choix des documents dans le bibliobus de la BDP dans l’enceinte de la prison fait partie de la formation. Elle permet d’obtenir un Certificat de compétence médiation culturelle.
  • À Toulouse 3 auxiliaires de bibliothèque ont obtenu le diplôme ABF.
  • À Gradignan, une auxiliaire a été embauchée à la BDP à sa sortie de prison grâce à son expérience en détention. Elle a pu « blanchir » son casier judiciaire.


Informatisation et NTIC
L’état des installations informatiques est variable selon les établissements. 20% des bibliothèques pénitentiaires ne sont pas informatisées. Pour les 80% qui le sont, il s’agit presque toujours d’installations monopostes sur du matériel obsolète. A noter cependant, les centres pénitentiaires de Poitiers Vivonne et de Nancy où sont installés des SIGB en réseau entre les différents quartiers. Malgré quelques contraintes sécuritaires, ces réseaux fonctionnent et sont indispensables car les bibliothèques sont fragmentées en petites unités.
Une expérience est menée à Gradignan dans un quartier de peines aménagées auprès de douze détenus avec des liseuses sur lesquelles sont téléchargés des textes (romans, guides pratiques, carnets d’adresses…) et de la musique. Les retours sont très positifs aussi bien pour les détenus qui n'ont aucune expérience de la culture numérique que pour ceux qui sont déjà familiarisés avec les NTIC.  Il est très valorisant pour les détenus d'avoir accès à ce support moderne.

La taille des bibliothèques
Là aussi la situation est variable entre les différents établissements. La tendance à la fragmentation des bibliothèques sur les nouveaux établissements a des côtés positifs pour la proximité et la fréquence de passage des détenus. En revanche la moyenne de 25 m² par bibliothèque est une catastrophe architecturale qui ne permet pas de proposer des espaces conviviaux et bien agencés.

Les collections
Si chacun s’accorde sur le fait que les collections doivent être encyclopédiques et pluralistes comme à l’extérieur, elles doivent cependant comprendre une quantité plus importante de certains types de documents : dictionnaires, encyclopédies, BD, nouvelles, livres et dictionnaires en langues étrangères. Les subventions fléchées du CNL, bien que ne répondant pas directement aux besoins les plus évidents, peuvent aussi être une aide précieuse à la constitution des collections.
Le mécénat peut être sollicité même s’il ne remplace pas des budgets d’acquisition réguliers indispensables à la pérennité du renouvellement des collections.


À la question : Les bibliothèques en détention sont-elles des bibliothèques comme les autres ? La réponse est : non, car bien souvent les collections ne sont pas multi supports. CD et DVD sont encore interdits dans certaines bibliothèques pour des raisons sécuritaires alors que les détenus peuvent cantiner les lecteurs et les CD. Mais, si peu de bibliothèques proposent des CD et DVD, c’est surtout en raison de la faiblesse des budgets qui bien souvent ne sont pas suffisants pour assurer un renouvellement correct des collections de livres.
Non, car ces bibliothèques sont les seules en France où  il n’y a que des hommes, ou que des femmes.


La bibliothèque idéale pour conclure les échanges
La bibliothèque idéale serait une bibliothèque plus grande, avec des collections multi supports et un budget suffisant pour les renouveler, un accès aux NTIC et une informatisation en réseau, 2 auxiliaires de bibliothèque et 1 bibliothécaire professionnel à plein temps.

Elle serait aussi une bibliothèque mixte, un lieu central et partagé, un lieu de rencontre entre les différents intervenants comme les enseignants, les animateurs d'ateliers, etc.
Enfin, la bibliothèque en détention devrait être un lieu de vie, une agora, dont l’accès serait facilité et encouragé par tous les acteurs de la détention.

Au terme de cette riche journée, Pascal Wagner, rendant hommage au Groupe de travail de l’ABF, émet le souhait que chaque institution travaille les unes avec les autres afin de concrétiser les éléments de réflexion issus du débat et popularise les expériences remarquables existantes.

Marie-Odile Fiorletta et Philippe Pineau

 

Programme
9h30 - 10h  :  Accueil des participants

10h - 10h10  : Paroles  de  bienvenue de  Christine  Péclard,  Directrice  de  la  Médiathèque Marguerite Duras

10h10 - 10h30  : Introduction par  Nicolas  Georges,  Directeur  du  livre  et  de  la  lecture,  ou  son représentant

10h30 - 11h  : Présentation de la circulaire « Culture/Justice » et état des lieux des bibliothèques en détention par Nathalie Faure, Direction de l’administration pénitentiaire et Vanessa Van Atten, Service du livre et de la lecture

11h - 11h45  : Les bibliothèques de prison, des bibliothèques comme les autres ? par Christine Loquet, chargée de mission Lecture / Prisons Bretagne, Patrick Rigolet, conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation de l'Yonne et Véronique Trinh-Muller, directrice générale du Centre National du Livre

11h45 - 12h  : Débat

12h - 14h  : Déjeuner libre (restaurants à proximité de la médiathèque)

14h - 16h  : Regards croisés sur le métier de bibliothécaire en prison : table ronde animée par Désirée Frappier avec  :

  • Valérie Briley (Médiathèque François-Mitterrand Poitiers / association D’un livre l’autre) – Partenariat BM / Centre pénitentiaire / D’un livre l’autre
  • Hélène Brochard (BM Lille) –  Quartiers longues peines
  • Marianne Terrusse (BDP Gironde) – Partenariats BDP / Maison d’arrêt / Centre de Détention
  • Eric Frigerio (BDP Essonne) – Bibliobus à l’intérieur de la prison de Fleury-Mérogis
  • Nelly Tieb, bibliothécaire bénévole de l’association Lire c’est vivre  
  • Christophe de la Condamine, ancien détenu auxiliaire de bibliothèque, auteur du «  Journal de taule  »

16h - 16h15  : Débat

16h15 - 16h30  : Les recommandations de l’ABF par Dominique Lahary, vice-président de l’ABF