Retour sur la journée d'étude du 28 septembre 2017 : usages imprévus des bibliothèques

 

Usages imprévus des bibliothèques

  • 1. En guise de préambule

Le titre de cette deuxième journée d'étude de l'ABF Auvergne peut passer pour un avant-goût de ce qui nous attend au Congrès 2018 de La Rochelle, puisque un des axes retenus pour cette édition à venir s'intitule " La bibliothèque comme vous ne l'attendiez pas (Surprise)".

La Médiathèque communautaire de Moulins nous a accueillis le 28 septembre avec le professionnalisme qu'on leur connaît. Après quelques mots de bienvenue de Françoise Müller, Directrice de la médiathèque, Malika Abid a rappelé en préambule la manière dont elle avait travaillé avec Kathleen Le Cornec sur l'organisation de la journée : atelier préparatoire lors de l'AG 2016, enquête en ligne diligentée auprès des adhérents et présentation en CA du groupe régional.

Puis, elle a présenté Danielle Aspert, Violaine Kanmacher et Sébastien Maupomée.

 

  • 2. Danielle Aspert (Directrice du CRI Auvergne) : bibliothèques et illettrisme

Les structures pour lutter contre l'illettrisme

Le 8 septembre n'est autre que la journée internationale sur l’illettrisme. Les régions ont maintenant la responsabilité de mener la lutte sur ce front là (formation professionnelle). L’ancienne Région Auvergne a fait appel au CRI pour glaner suggestions et propositions.

Etre en situation d’illettrisme, c’est n’être pas autonome du point de vue des compétences (lecture, écriture, rapport à l’espace, maîtrise du calcul et du numérique).

7 % de la population seraient en situation d’illettrisme en France métropolitaine, soit circa 2 ,5 millions de personnes (dont plus de la moitié sont dans la vie active).

Qu’est-ce que le CRI ? Les centres de ressources illettrismes forment un réseau. Les statuts sont différents. Il en existe un en Auvergne, qui a 25 ans et, côté Rhône-Alpes, il y en a un par département.

Etre illettré et entrer dans une bibliothèque

D. Aspert recommande la lecture de La Tête en friche Marie-Sabine Roger (film de Jean Becker, 2010), car il y a un passage intéressant sur la désorientation d'un un illettré qui rentre dans une médiathèque, même si les médiathèques ont évolué et que le passage concerné ne correspond plus aux espaces actuels de lecture publique.

Elle indique que la position du bibliothécaire est intéressante, car il ne juge pas.

Elle cite une anecdote : elle a emmené un groupe de personnes en situation d’illettrisme à la médiathèque. Une des personnes a posé la question suivante, qui laisse penser que cette personne n’avait aucune idée de qu’on pouvait y trouver. « Comment faut-il s’habiller ? »

Réaction d’une bibliothécaire. Il faut se mettre à la place de l’usager qui n’a pas les codes pour comprendre ce que représente la violence symbolique (imaginons-nous dans un festival de métal…).

Entre 2009 et 2013, le CRI a travaillé avec le Transfo sur ces questions d’illettrisme. Quand la Région a eu à mettre en place les « compétences socles », le CRI a insisté sur les pratiques culturelles. Ces pratiques culturelles ont été intégrées dans les cahiers des charges pour les formateurs.

Trois actions menées avec des médiathèques

Le département du Puy-de-Dôme a également lancé des actions (Mots de passe 63), qui ont pu très bien fonctionner à Thiers et échouer à Riom.

A Riom, B. Bessot a exposé le fait qu’il s’agissait d’une suite d’occasions ratées. Le Conseil départemental a bouclé le dossier sans associer les bibliothécaires. Riom avait été désignée comme bibliothèque partenaire. Des groupes devaient être reçus à intervalles réguliers. Mais la médiathèque ne pouvait mettre en place le partenariat, faute de place, faute de matériels, faute d’anticipation puisqu’il n’y avait pas eu de concertation. Des organismes de formation demandaient instamment à signer un engagement de la médiathèque dans le cadre de réponses à appels d’offre. Une étude des publics n’avait pas été diligentée en amont. Partant, les gens du voyage ont été requis comme public cible.

D. Aspert souligne qu’un temps de concertation avec les acteurs est bien évidemment indispensable pour la réussite de l’opération. Thiers a été exemplaire en la matière.

Quel rôle pour les bibliothèques ? Les médiathèques se révèlent être « des lieux d’accueil à la bonne échelle », pour peu que les acteurs de la culture, du social et de la formation travaillent ensemble.

Trois questions qui doivent trouver une réponse : pourquoi y vais-je ? Comment se déroule une visite à la médiathèque? Quels sont les objectifs de ma venue ?

En 2015-2016, Aurillac était le bassin visé. La médiathèque d’Aurillac a travaillé avec les centres sociaux, en commençant par faire du hors-les-murs. Le question était de tisser des liens avec les quartiers, rompus du fait de l'érection d'une médiathèque centrale nouvelle.

En novembre 2016, les personnes touchées par l’opération ont été invitées à une soirée à la médiathèque. Pour cette première visite, moment de convivialité et de rencontre (visite des coulisses, espace de la ludothèque…). 17 bibliothécaires avaient été mobilisés. La réflexion sur la complémentarité entre médiathécaires et autres services a été mise en place (Comment faire vivre la lecture pour un public illettré…)

D. Asper conclut sur l'importance de l’interconnaissance des métiers.

 

  • 3. Violaine Kanmacher (Bibliothèque municipale de Lyon, Responsable du département jeunesse) : de l'imprévu en bibliothèque pour les jeunes publics

Après quelques mots sur l'activité lyonnaise (Département jeunesse, 52 % des enfants inscrits et actifs ; 250 000 prêts par an ; à peu près autant d’entrées ; la Part Dieu est à proximité de la gare, du grand centre commercial, d’un campement de migrants. Par ailleurs, les grands lecteurs, issus de la classe moyenne, fréquentent assidûment les bibliothèques.), V. Kanmacher soulève la question de la bibliothèque troisième lieu. Pourquoi la bibliothèque propose-t-elle, en effet des actions décalées ?

La bibliothèque, selon Violaine Kanmacher, est une fenêtre sur l’extérieur, miroir de ce que je suis, porte-voix de mes actions, des mes opinions.

Pour mettre en place cette vision des bibliothèques, les collègues lyonnais ont un mantra :

Observer, analyser, imaginer, tester, évaluer, qu'ils ramassent en une formule magique : OBSANIMTESTEV

La mise en place du bac « Moi, j’aime pas lire » est un grand succès. Sur le contenu, V. Kanmacher a indiqué qu'il s'agissait d'un mélange de propositions : BD, imagiers (imagiers des gens de Blexbolex), théâtre, documentaires, albums sans texte (notamment destinés à ceux qui ne parlent pas la même langue), Max et Lili, la famille Oukilé, La Cabane magique... Ce bac a un taux de rotation très intense. C’est un genre de « fouillothèque ». Les enfants dyslexiques par exemple sont friands de théâtre jeunesse. Chaque collègue fait une sélection. La dernière livraison de la Revue des livres pour enfants parle de cette expérience.

Autre expérience, l’abonnement aux ressources numériques Munki pour un accès en salle (histoires, contes lus, musique), mises en scène dans un « carrosse des histoires ». Sélection de 3 albums et de 3 histoires lues par mois. Les assistantes maternelles apprécient ce type de ressources.

Troisième expérience, la venue d’un groupe d’étrangers qui devaient apprendre le français, avec des situations sociales difficiles (problèmes graves de logement). Avec IBBY, il y a un projet, Silent books for Lampedusa, conduit par cette association. Cette sélection a été le support d’une opération réussie.

Quatrièmement, organiser une « sieste musicale », pour allier un moment d’abandon aux airs d’opéra... (les livres jeunesse sur l’opéra sortent, par conséquent, beaucoup plus).

Cinquièmement, bricoler, écrire sur les murs. Une grande feuille est posée sur un des murs d'entrée de la bibliothèque, pour permettre l'expression libre pendant trois mois des enfants. Des coloriages collaboratifs, dans le cadre d'ateliers, sont réalisés. Autre proposition : dessin de la première page d'un livre pour enfants à compléter.

Création d’une rubrique « S’amuser » sur Numelyo. Maintenant, à la BML, il y a un espace de coloriage, avec des tirages de Numelyo. Une machine à badges permet aux enfants de s’approprier le patrimoine.

 

Des ateliers makey makey pour apprendre à coder en s'amusant ("faire de la musique avec des fraises tagada" par exemple) ont été mis en place.

Par ailleurs, l'idée d'un atelier radio s'est imposée, avec l'idée de faire des "gones" des acteurs de la bibliothèques. La radio s'appelle Radio Vif d’or.

Autres initiatives :

"Parler à des inconnus" pour offrir des "Bibliothèques vivantes". Cela s'est concrétisé par l'opération « C’est quoi ton métier ? » (pas de rémunération pour les intervenants) ; goûters offerts.

Autre dispositif : Jouer avec des copains. Menu qui change chaque mois (entrée, plat, dessert). Les jeux sont basés sur des dispositifs numériques. L'Ecole de design de Saint-Etienne y a collaboré.

Bien évidemment, le jardin est une source inépuisable d'activités. Un travail avec Le service des espaces verts a débouché sur une opération "bombes à graines". Une grainothèque a été aménagée dans un vieux meubles à fiches, avec une séparation « c’est beau » / « ça se mange ». Des nichoirs pour oiseaux ou des habitats pour insectes ont été réalisés, également.

Un autre moyen d'intéresser autrement les enfants consiste à associer l'art au corps. On pense rarement au corps des lecteurs. "Venir à la bibliothèque pour danser", voilà qui nécessitait de travailler avec avec la Maison de la danse. A été créée la « Cabane de la danse », pour inviter les enfants à s'initier à cet art. Références : numeridanse.tv onglet « Cabane de la danse ». Expérimentation de la danse et de la scène.

Autre procédé, l'Archéo schmilblik. Tous les mois, un objet. Il faut imaginer ce que c’est. Tous les 2 mois, un médiateur vient expliquer ce qu’est cet objet. Dans la même veine, la BML veut mettre en place l'emprunt d'un pass musées pour trois semaines (à l’image de Montréal).

Enfin, V. Kanmacher conclut sur l'opération "Etre bibliothécaire junior", manière d'immerger des jeunes dans l'univers professionnel.

 

  • 4. Atelier sur usages numériques et usages imprévus (F. Boyer, rapporteur)

1. Usages numériques proposés par les bib qui déstabilisent les usagers

>Voie alternative aux GAFA

>Question de la déconnexion.

>Location/prêts d’artefacts numériques. Stuttgart, les BU

>Le numérique facilite les animations en bibliothèque : projection des matches de football dans une médiathèque ; blind tests musicaux

 

2. Usages numériques pratiqués par les usagers qui déstabilisent les bib

Dématérialisation des services publics (exemple de la vignette CritR ; démarches pour le permis de conduire ; déclaration d’impôts)> à la fois, c’est une question d’accès et de gestion des accès. Rôle d’écrivain public numérique. Usages imprévus > modification des ateliers numériques. Type de nouvel atelier : atelier sur le bon coin et sur la vente sur internet.

>Numérique et langues étrangères. Caractère insuffisant de l’offre pour accueillir les populations étrangères.

>Question de la photo numérique et des réseaux sociaux. Organiser un débat sur la vie privée sur internet.

>Quelques attaques.

Le fait qu’il n’y ait plus de numérique en bibliothèque pour des raisons conjoncturelles est vécu comme imprévu et donc anormal.

 

  • 5. Atelier Nouvelles animations et usages imprévus (S. Langlois, rapporteur)

Dans nos animations, devons-nous nous orienter vers des actions en lien avec mettre en avant l’émancipation individuelle des usagers ou privilégier le lien social entre usagers ?

Les Nouvelles animations ouvrent d'autres rapports au livre, l'objectif est-il pour le public de progresser ensemble sur un sujet. Se pose alors la question du périmètre : qui doit faire quoi ? Dois-je faire ou faire faire, en tant que professionnel de la culture?

A présent, les bibliothèques mettent en avant principalement le lien social dans leur nouvelles animations.

Mais, cela dépend du projet de la bibliothèque. La difficulté, aujourd’hui, réside dans le fait que les moyens techniques sont très répandus : accès à l'information sur INTERNET, … Quelle est donc notre valeur ajoutée : recréer du sens par rapport à un événement ? : ex : compétition sportive, ...

Dans les pays du Nord de l’Europe, le livre est juste un moyen. D’autres objets ou pratiques sont utilisés dans le cadre de la bibliothèque. Ainsi, une bibliothèque sans collection peut-elle exister ?

Il n’en reste pas moins que la valorisation des collections restent le type même d’animation cohérente pour une bibliothèque.

L’animation représente une facilitation des échanges, quel que soit le sujet.

La bibliothèque doit être capable de recevoir et d’accueillir les publics.

Quid de ce que veulent les bibliothèques et les élus ?

Le bibliothécaire est moins spécialisé aujourd’hui qu’il ne l’était auparavant. La légitimité de notre métier se redéfinie aussi par rapport à l’usager et ses usages imprévus : ex : jeux vidéos, bibliothèque : boîtes de nuit. Est-on bibliothécaire, lorsque l’animation se déroule hors-les-murs ? Est-ce qu’on est bibliothécaire si les collections ne sont plus au cœur de notre travail.

Les livres ne sont pas une fin en soi. Il nous faut faire avec les usagers en co-construction.

Il est intéressant de laisser à l'usager la possibilité de faire dans la bibliothèque l'expérience de la sérendipité. Il faut envisager la bibliothèque comme un lieu agrégateur, de vraie médiation où l’émancipation individuelle et collective coexiste sur un mode de convivialité.

 

  • 6. Bibliothèques et citoyenneté. Jusqu’où le bibliothécaire peut-il aller ? (N. Soares Ramos, rapporteur)

>Jusqu’où le bibliothécaire peut-il aller ou veut-il aller ?

>Question de l’accueil des mineurs/des migrants ; exemple de Montluçon sur l’accueil de jeunes isolés. Comment les bibliothécaires font face à ces situations ? Aspect crucial de la formation des professionnels.

>Est-ce que les bibliothécaires doivent démarcher à l’extérieur (non usagers)

>Questions des sans-abris. Comment répondre à ce type de publics.

>Nouveau rôle social des bibliothèques, nouvellement identifiées comme des lieux de ressources. Mettre au point une charte d’assistance ?

>Peut-on autoriser les activités rémunérées en bibliothèque ? Dans les nouveaux espaces différenciés, par exemple (« co-working »).

>Faire des jeux, des tests qui permettent de créer une familiarité avec la bibliothèque.

>Mobilier détourné par les enfants, sans contrôle des parents.

>Question des « limites » des bibliothécaires lors des ateliers numériques.

> « Anime ton hall », animations qui ne sont pas produites par les bibliothécaires mais par les usagers.

>Rôle des bibliothèques dans le rôle contre l’illettrisme

>Valoriser ce que les personnes savent faire !

Exemple d’une jeune femme, d’origine étrangère, de créer un blog sur ses « doudous »

Un autre blog consistant à enregistrer les comptines dans la langue maternelle.

>Accessibilité

Il faut se mettre à la place d’un étranger qui découvre tout, lors de son entrée dans une médiathèque. Comment accueille-t-on le public ? Pourquoi ? Requestionner le métier et se mettre « à la place de ».

>Complémentarité entre les différents partenaires

Comment trouver sa place comme on est bibliothécaire. Il faut travailler avec les partenaires pour construire un projet cohérent.

 

F. Boyer conclut cette journée professionnelle, en rappelant l'exigence toujours accrue de prédictibilité -et donc le refus de l'imprévu- que nous imposent les modèles basés sur les algorithme. Par ailleurs, les Français sont mus par une tradition du texte, du droit écrit et aiment la procédure.

Pour autant, le professionnel est celui qui sait s'adapter à tout moment parce qu'il connaît les textes et qu'il connaît son métier : il sait faire à face à l'imprévu. Et l'usager, lui, va vouloir des services utiles, faciles d'utilisation et désirables. Au professionnel, donc, de s'adapter.

La journée se termine par une performance majuscule de Sébastien Maupomée, qui s'est nourri des débats de la journée pour écrire son texte.

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