Faire évoluer les lieux et les pratiques en fonction des usages
Journée professionnelle - ABF groupe Auvergne
L’ABF Auvergne a proposé une journée professionnelle le 6 octobre 2022 à la Médiathèque Hugo-Prat de Cournon d’Auvergne, appartenant au réseau de Clermont Auvergne Métropole. Cornelia Schulze, Responsable des territoires de lecture au sein de ce réseau, au nom des élus et de ses collègues, a tenu à nous réserver le meilleur accueil.
La thématique retenue était la suivante : Faire évoluer les lieux et les pratiques en fonction des usages. La relation du bibliothécaire avec l’architecte, le design de service comme l’association des usagers au projet de construction ou de réhabilitation étaient au cœur du sujet.
Le Groupe ABF Auvergne avait invité David Marcillon, pour être le grand témoin de cette journée, que Fabrice Boyer (Université Clermont Auvergne) a présenté. David Marcillon construit sa carrière, en l’orientant dans trois directions : la maîtrise d’œuvre au sein de l’agence MTa qu’il codirige avec Philippe Thuilier ; l’enseignement aujourd’hui à L’École nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand et la direction du réseau scientifique thématique « Philau ». L’agence MTa est bien connue en Auvergne. Le nouveau lycée du quartier Saint-Jean est son dernier grand programme abouti. En matière de construction de bibliothèques, l’agence a travaillé sur des projets très différents (du point lecture au grand équipement). C’est essentiellement sur le travail de l’Hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand qu’a été centré le propos de D. Marcillon. L’agence MTa est co-traitante sur ce dossier d’envergure (architecte mandataire : Stanton and Williams, Londres).
Puis, une intervention de Céline Teyssier et de Pauline Raynaud (Clermont Auvergne Métropole) nous a permis de comprendre la méthode qui a prévalu pour conduire la consultation citoyenne dans le cadre de la préfiguration de la bibliothèque de l’Hôtel-Dieu à Clermont-Ferrand ; enfin, Kathleen Le Cornec (Vichy communauté) a animé une table-ronde qui a rassemblé Élodie Cuissard (Learning centre de l’Université de Haute-Alsace), Audrey Beucher (La Bulle, tiers-lieu culturel d’Annemasse) et Sébastien Defrade (Médiathèque Départementale de la Loire).
Les débats ont été nourris. On tentera, ici, une synthèse en regroupant autour de quatre points les propos tenus :
- l’importance du maître d’ouvrage, tout d’abord, est capitale
- bien évidemment, de la qualité de la maîtrise d’œuvre dépend la réussite du projet
- la maîtrise d’usage est bien l’apanage des professionnels des bibliothèques
- enfin, la capacitation des usagers est gage d’une appropriation accrue
La maîtrise d’ouvrage reste la clef de voûte dans tous les cas. Dans le cas de Clermont-Ferrand, l’ambition du projet impliquait un appel européen à projets, puis la mise en place d’un comité de pilotage politique, articulé à un comité technique. Le comité de pilotage politique, dans ce cas précis, joue un rôle crucial, compte tenu des sommes en jeu (notamment dans un contexte d’inflation...) et des contraintes multiples (notamment patrimoniales et archéologiques). Dans le cas de La Bulle, à Annemasse, la collectivité a décidé de faire du tiers-lieu un équipement de proximité pilote, dans un quartier connu pour ses fortes disparités sociales et le brassage des populations. Pour ce qui regarde l’UHA, Élodie Cuissard nous a indiqué que le projet reposant sur la réussite de l’étudiant remontait à 2005 et qu’il était porté politiquement. Le département de la Loire, enfin, a décidé d’accompagner sa médiathèque dans sa mue : la nouvelle configuration des locaux est l’expression d’une nouvelle identité de la médiathèque départementale, l’incarnation d’une nouvelle relation au territoire.
Pendant de la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre est à mettre sur pied, en fonction de chaque projet. Le projet majeur de l’Hôtel-Dieu mobilise un cabinet anglais, comme on l’a vu, et un cabinet clermontois. C’est tout un éventail de compétences qu’il faut faire travailler ensemble pour réussir à relever le défi : une équipe d’environ de 50 personnes a travaillé ainsi sur l’équipement de l’Hôtel-Dieu, et ce depuis trois ans. La question de « faire » bibliothèque est un sujet sensible et ce type de projets est important. Outre l’équipe anglaise, MTa s’est associée à des paysagistes danois. Tous se sont mis d’accord sur l’importance d’ancrer le bâtiment dans le tissu urbain. A l’axe minéral Nord-Sud, correspond un axe végétal Est-Ouest : l’Hôtel-Dieu se trouve à l’intersection, du reste, du Cardo/Decumanus antiques[1]. A cela s’ajoute la question fondamentale du géo-récit : l’Hôtel-Dieu se trouve implanté sur un socle de tuf, creusé de caves et lié à une éruption volcanique qui a duré quelques semaines. Cet événement a été fondamental dans la conformation de l’espace de Clermont. Évidemment, la destination première du bâtiment a été un axe de réflexion majeur. C’est aussi du côté de la maîtrise d’œuvre que se situent les compétences techniques essentielles, pour croiser enjeux environnementaux, énergétiques et patrimoniaux : la question de la verrière a été, tout spécialement, étudiée sous tous les angles. Élodie Cuissard (UHA) a peu évoqué la maîtrise d’œuvre, car c’est la communauté d’agglomération qui a géré cet aspect-là des choses. Pour ce qui est de la Médiathèque départementale de la Loire, Sébastien Defrade a souligné la bonne distance de la maîtrise d’œuvre (cabinet EUTOPIA) dans le projet, qui avait livré un programme détaillé (enjeux, missions, organisation RH, flux, besoins), en exploitant parfaitement l’architecture de départ (lisibilité renouvelée et circulation de la lumière), afin de permettre la mise en place de la maîtrise d’usage.
C’est avec la maîtrise d’usage qu’entrent en scène les bibliothécaires, même si David Marcillon a insisté sur le rôle charnière des « bibliothécaires bâtisseurs », qui réussissent à être et du côté de la maîtrise d’ouvrage et du côté de la maîtrise d’usage. Céline Teyssier et Pauline Raynaud ont pu ainsi nous donner l’organisation qui avait prévalu du côté des équipes de bibliothécaires de Clermont Auvergne Métropole pour le projet de l’Hôtel-Dieu : depuis 2017, 8 groupes ont œuvré sur la préfiguration de l’équipement : collection, utilisateurs, publics spécifiques, numérique, patrimoine, action culturelle, services innovants, accueil. Chaque groupe est porté par des agents du réseau qui sont volontaires. Très concrètement, maîtrise d’œuvre et maîtrise d’usage ont pu discuter -parfois longuement- sur les mobiliers d’accueil et les collections (dans ce dernier cas, à partir de 3 hypothèses présentées par la MOE : un scénario dense ; un scénario intermédiaire ; un scénario allégé). D. Marcillon a insisté sur la qualité du dialogue avec les professionnels, qui nécessite le développement d’outils de représentation pour construire un récit partagé. Le rôle d’accompagnement de la tutelle peut se révéler un atout maître, comme dans le cas de la MD de la Loire, qui a posé un diagnostic complet, socle autour duquel se sont fédérés les différents métiers du service. Le travail sur la maîtrise d’usage ne s’arrête pas, une fois le bâtiment ouvert : dans une perspective d’adaptation constante (méthode UX), le bibliothécaire peut réfléchir à l’évolution des lieux et des services. E. Cuissard de l’UHA relève ainsi qu’au sein du Learning centre, les usages changent déjà. Avec la crise sanitaire et le télétravail qui en résulte, on constate que l’usage individuel et bruyant (visio) est de plus en plus demandé. Elle s’interrogeait ainsi sur un renversement du paradigme en place dans les BU : pourquoi ne pas généraliser l’usage bruyant sur l’ensemble des plateaux ouverts et cantonner l’usage silencieux aux carrels ?
La maîtrise d’usage est fonction de l’autonomie plus ou moins grande des utilisateurs. Ce que les Québécois appellent la « capacitation ». Cette capacitation peut être permise en amont d’un projet, par le biais d’ateliers de coconstruction (exemple de l’usage à venir de la salle Duprat dite ancienne salle des pas-perdus de l’Hôtel-Dieu) ou tout au long de l’année, comme l’a démontré Audrey Beucher, pour la Bulle d’Annemasse. Avec un projet de service centré sur les droits culturels (déclaration de Fribourg), les professionnels savoyards se positionnent en facilitateurs des projets des utilisateurs. Quelques exemples : un concours manga proposé par des adolescents ; un cours d’informatique proposé par un adulte ; une soirée Harry Potter proposées par deux enfants de 10 qui a réuni 90 personnes. Pour les achats de livres, les usagers sont associés aux offices (succès réel sur les créneaux de la BD et de la jeunesse). Pour donner de la cohérence et instaurer un dialogue constructif, chaque mois une réunion se tient, sur une thématique donnée. Les trois groupes qui émettent des idées et participent aux choix sont : les usagers (capacitation), les professionnels (facilitation) et les élus (délégation). Au moins deux groupes sur les trois doivent s’accorder pour qu’une idée entre en application. A. Beucher livre sa vision du métier : le bibliothécaire doit changer de posture, en développant des méthodes agiles, en tenant compte des usages et des usagers (50% de la fiche de poste reposent sur des activités d’accueil). Pour E. Cuissard qui évolue dans un cadre universitaire, cette capacitation doit être centrée sur la réussite des étudiants : c’est la raison pour laquelle elle a décidé de centrer son propos sur les espaces de travail, car la volonté de l’UHA de permettre aux étudiants d’« apprendre autrement » est le fer de lance du projet. Le meilleur exemple n’est autre que l’absence de scénarisation de base des salles (les bibliothécaires n’imposent pas aux gens de remettre les salles « en l’état »), qui va de pair avec un choix judicieux de mobilier et une implantation de très nombreuses prises électriques.
Avant la visite de la médiathèque de Cournon, Julia Morineau-Eboli (Médiathèque de la Haute-Loire et présidente du groupe ABF Auvergne) a clos la journée en remerciant les intervenants pour la richesse de leurs contributions et a invité les participants à venir au sein de l’ABF Auvergne partager expériences et discussions.
[1] Au cours des fouilles liées au projet, on a découvert une partie de l’ancien Cardo.