ENTRETIEN AVEC MATHIEU JOHANN-LEPRESLE
Adjoint à la culture et à la communication de Saint-Lô
Pourquoi votre collectivité assure-t-elle la gratuité ?
En 2019, la médiathèque de Saint-Lô a rouvert ses portes après deux ans de travaux, qui ont remis en valeur les qualités architecturales du bâtiment, en ont facilité considérablement l'accessibilité et amélioré la visibilité en créant une belle vitrine largement ouverte sur la nouvelle Place du Champ de Mars.
Le projet de service s’est construit autour de la notion d’hospitalité : une médiathèque attentive aux habitants, aux vulnérabilités, un lieu d’inclusion ouvert à tous. C’est donc cette perspective qu’il a été décidé la gratuité totale des services, même si cette décision n’avait rien d’une évidence pour les élus : certains se questionnaient sur le respect que les usagers accorderaient aux documents, sur leur restitution (il est à noter que nous n’avons pas constaté plus de problèmes depuis la réouverture) … ou sur la baisse des recettes.
Mais les recettes alors ne dépassaient pas les 10 000 € : la médiathèque étant déjà gratuite pour les moins de 16 ans, les demandeurs d’emploi, les professionnels de l’éducation et de l’animation. Et certains usagers utilisaient la carte de leurs enfants pour éviter une inscription payante. Par ailleurs, les frais de régie, la gestion des abonnements étaient lourds et pouvaient créer des situations de tension à l’accueil !
Nous constatons aujourd’hui que la simplification de la démarche pour s’abonner et emprunter a créé une vague de nouveaux abonnements, et ce nouveau lieu dans la ville est rapidement devenu un véritable lieu de proximité, un espace public du quotidien, ancré dans la ville et très facilement accessible.
Quels effets avez-vous observés ?
Le nombre d’emprunteurs aujourd’hui a été multiplié par 2,3 par rapport l’ancienne médiathèque en 2017. Plus de 7000 personnes aujourd’hui empruntent régulièrement des documents (la ville de Saint-Lô compte 20 000 habitants).
On constate également que les habitants de l’agglomération se sont inscrits plus massivement (40 % des abonnés aujourd’hui sont des habitants des communes alentour, contre 25 % auparavant), ce qui contribue à l’essor de l’économie locale et la vitalité du centre-ville.
Finalement, le tarif même modeste d’inscription dissuadait une partie du public, surtout celui pour lequel l’usage de la médiathèque n’était pas une priorité.
La gratuité, levant tout sentiment de discrimination participe à la lutte contre l’illettrisme et permet à l’accès de ses services et collections aux personnes les plus éloignées de la lecture, à la culture pour tous.
Les adolescents, peu habitués à fréquenter l’ancienne médiathèque ont réinvesti les lieux : la gratuité de l’inscription permet de les intéresser à nos services (jeux vidéo, jeux de société, collections). Les enfants représentent environ la moitié des inscrits, succès qui s’explique aussi par les animations et les rendez-vous très réguliers proposés.
Le mercredi, c’est en moyenne entre 800 et 1000 personnes qui franchissent la porte !
Les plus de 60 ans représentent le quart des abonnés, leur expérience ayant aussi été encouragée par l’achat de matériel de lecture (loupes manuelles ou électroniques, lecteurs de livres parlant, téléagrandisseurs…), de livres audio ou à gros caractères.
Avez-vous un message complémentaire à transmettre à vos collègues ou homologues ? élus pour les convaincre ?
Incontestablement, la médiathèque s’est démocratisée ! La gratuité a été un levier pour offrir à tous la chance d’un accès démocratique à l’information, aux loisirs et à la culture.
Il reste que la gratuité ne fait pas tout et que le succès actuel du lieu est également le résultat de collections et de services de qualité, attractifs et accessibles (avec 7 heures d’ouverture hebdomadaires supplémentaires) portés par une équipe consolidée et motivée, pourvue d’un grand sens de l’adaptation !