Dès son entrée en fonction, le nouveau Bureau de l’ABF est tout de suite tombé dans le grand bain : l’actualité ne nous a guère laissé le temps de réaliser ce qui nous attendait. De quatre membres, nous sommes passés à six, et c’est bien un minimum devant la longue liste de sujets qui nous attendent (ou pas, car si on ne s’en saisit pas, ils ne resteront pas sagement dans un coin dans l’expectative d’une réaction des bibliothécaires).
Accords de partenariat public-privé de la BnF
Premier événement, les fameux accords de partenariat public-privé lancés par la BnF, ou plutôt sa filiale BnFPartenariat. Nous continuons à défendre le principe d’accès immédiat libre et gratuit aux documents tombés dans le domaine public et ce même après la rencontre entre la BnF et les associations professionnelles qui n’a pas entamé nos convictions. Que les livres numérisés en question n’intéressent que peu de personnes ou que l’on n’ait à attendre « que » dix ans pour les consulter en ligne librement soit une bonne opération ne sont pas des arguments qui nous satisfont. Nous réclamions de plus la communication du texte de ces accords, que la BnF avait soumise à l’accord de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Celle-ci ayant donné son feu vert, les contrats ont été mis en ligne, avec toutefois de nombreux passages masqués jugés économiquement confidentiels, ce qui réduit d’autant la clarification attendue.
Accès ouvert pour les publications scientifiques
Parallèlement, vous avez peut-être eu connaissance de la pétition lancée en mars dernier par des responsables d’université pour réclamer l’accès ouvert (ou open access), pour les publications de la recherche scientifique financées par des deniers publics. Parmi les très nombreux signataires, on trouve quantité de bibliothécaires, notamment en universités, qui réagissent ainsi sur un principe mais aussi contre un modèle économique qui étrangle financièrement les BU. Les éditeurs eux-mêmes se sont positionnés souvent pour, parfois contre, cette pétition (mise en garde d’éditeurs de sciences humaines qui redoutent un effondrement de leur activité), la discussion portant surtout sur le modèle économique permettant un open access viable pour chacun (voir à ce sujet l’article de Livres Hebdo n° 945, ou l’article du Monde qui résument notamment les voies possibles : "verte", "dorée", ou "platinium"). Quoi qu’il en soit, l’évolution semble inévitable et les bibliothèques en seront un acteur majeur. L’ABF retrouve dans ce dossier des valeurs à défendre, tant pour l’accès à la connaissance que pour le soutien au fonctionnement des établissements documentaires.
Promotion du numérique en bibliothèque
Les contenus numériques, livres mais aussi publications périodiques, musique ou images animées, sont un enjeu majeur des services que nous pourrons rendre et pour lesquels de nombreuses questions se posent encore. Entre l’offre aux bibliothèques beaucoup trop restreinte en France, les inquiétudes des éditeurs qui peuvent percevoir celles-ci comme des concurrentes et les interrogations de nos collègues sur les modalités techniques de ces services... il est ardu d’avoir une vision claire de la façon dont nous pourrons fonctionner demain. Quand nous bâtissions une politique documentaire balisée pour l’imprimé, comment appréhender l’édition numérique, dans sa complexité tout autant que ses balbutiements, avec un regard professionnel à la fois neuf et avisé ? Le chemin sera compliqué. Nous devons nous faire entendre et participer de manière constructive au débat, démontrer l’atout de promotion du numérique que représentent les bibliothèques et veiller à ce que nos usagers aient accès le plus aisément possible à ces nouvelles ressources. Ceci en respectant bien sûr les droits d’auteur, mais en oeuvrant à un modèle économique acceptable par chaque acteur… bibliothèques comprises.
Ces bibliothèques sont investies d’une mission fondamentale, celle d’offrir un accès non discriminant à l’information, à la connaissance et à la culture. C’est une évidence. Et pourtant force est de constater que de nombreuses barrières existent dans nos bibliothèques. Contraintes parfois. Comment espérer offrir dans les meilleures conditions possibles des ressources numériques en bibliothèque quand le cadre légal ne l’intègre pas au droit de prêt. Ou lorsque les éditeurs nous imposent des obstacles techniques qui font de l’accès aux livres numériques un véritable parcours du combattant. Que dire lorsque des institutions publiques oublient qu’un accès en ligne et ouvert au domaine public est un pilier de leur mission. Et que dire encore du droit fondamental d’accéder à Intenet pour tout citoyen qui doit pouvoir s’exercer dans nos murs alors que sa consultation est trop souvent soumise à un bridage de la connexion ou à un filtrage d’un Web qui ne serait pas à visée documentaire. Ajoutez-y nos horaires d’ouverture et vous donnez le sentiment pour nombres d’usagers que l’accès à l’information en ligne est plus simple au MacDo. Pire, que la sphère marchande serait plus à même à leur rendre ce service. Un comble. D’autant que ces dispositifs sont mis en place par les bibliothécaires eux-mêmes, parfois à la demande de leur hiérarchie administrative ou politique.
Ne nous trompons pas de cible. Dans un contexte ou l’émergence du numérique renforce les enclosures1 de l’information, du savoir commun et des usages, la bibliothèque doit être une institution facilitant pour tous l’accès, la préservation, la circulation et l’appropriation des biens informationnels. La bibliothèque doit s’affirmer comme un acteur public de confiance, repéré, engagé et garant des droits fondamentaux du citoyen à s’informer, à apprendre, à partager et à déployer ses usages. Il ne s’agit pas seulement de proposer des accès ou des lieux d’accès mais d’adopter des stratégies qui garantissent l’appropriation du savoir au sens large du terme, sans discrimination technique ou juridique qui irait au-delà du cadre légal en vigueur. Cela ne doit plus être un simple souhait mais un engagement pour une politique publique d’accès aux savoirs, aux savoir-faire et à la culture.
Cet engagement pourrait prendre la forme d’une charte affirmant pourquoi et comment les bibliothèques sont une cheville importante pour garantir les droits des citoyens pour l’accès à l’information et aux oeuvres culturelles. Un texte sera écrit de manière collaborative, associant les professionnels de l’information et de la documentation, ceux de la culture, mais aussi les partenaires institutionnels, des experts de la société civile et pourquoi pas des citoyens qui pourraient s’y intéresser, afin d’enrichir et de nuancer ce document ou cette charte. En définissant les prérequis fondamentaux de cet accès du citoyen, nous pourrons d’autant plus facilement décliner les missions et les responsabilités que portent nos bibliothèques en la matière.
Un travail que souhaite lancer l’ABF dans les mois à venir.
Anne Verneuil, présidente de l’ABF
Lionel Dujol, secrétaire-adjoint chargé du numérique
1. Enclosure : limite (technique, juridique ou éco-systémique), à l’accès à un bien informationnel.