15 janvier 2018
Les bibliothèques bénéficient jusqu'à présent d'une exonération de paiement des droits d'auteur pour les heures du conte, lecture gratuite d'albums, d'histoires, d’extraits de livres et de contes.
La SCELF, organisme de perception représentant certains éditeurs, exige le paiement de droits lors des lectures gratuites proposées par les bibliothécaires lors de leurs activités quotidiennes : accueils de crèches, de classes, de centres de loisirs, clubs de lecture, heures du conte, présentation des coups de cœur… La SCELF demande également l’envoi de la programmation des heures du conte 3 mois à l’avance pour approbation.
Dans le respect du droit d’auteur et en accord avec eux via leurs représentants (SGDL, Charte des illustrateurs, Conseil Permanent des écrivains) l’ABF demande le maintien de cette exonération, exonération dont bénéficient les libraires et refuse tout dispositif d’autorisation préalable.
Vendredi 12 janvier, à l’occasion de la conférence de presse de lancement de la nuit de la Lecture dans les bibliothèques et les librairies, Madame Françoise Nyssen, Ministre de la Culture, s’est prononcée clairement en faveur du maintien de cette exonération. L’ABF en prend acte et la remercie d’avoir répondu à notre appel. Mais notre association restera mobilisée et vigilante tant qu’aucun accord n’aura été signé.
En conséquence l’ABF appelle les élus, directeurs généraux des services, directeurs des Affaires culturelles, bibliothécaires, amoureux de la littérature à manifester leur refus de cette taxe et à informer largement le public dans le cadre de la Nuit de la lecture du 20 janvier, notamment en lisant le texte du collectif Shéhérazade en colère joint à ce communiqué.
Les bibliothèques doivent pouvoir continuer à donner le goût de lire, notamment aux plus jeunes, grâce aux lectures à voix haute.
L’Association des Bibliothécaires de France
Contact
info[at]abf.asso.fr
Bonsoir…
Connaissez-vous Shéhérazade ? Cette princesse d’autrefois narra, dit-on, pendant mille et une nuits, des contes à l’homme qui l’avait épousée. Ce roi cruel tuait au matin sa mariée de la veille. Mais pas celle-là, pas Shéhérazade : la conteuse fut sauvée par sa voix, et ses histoires.
En cette Nuit de la lecture, Shéhérazade veille sur notre première histoire.
C’est une histoire à dormir debout. Un conte pour enfants tristes, pour enfants en colère, pour enfants amers. Un conte qui n’a ni le goût de l’eau des roses, ni davantage celui des rêves…
*
Il y a, dans ce pays, des centaines, des milliers d’endroits où l’on s’est réuni pour lire ce soir, cette nuit.
Dans ces centaines, ces milliers d’endroits, on lit aussi le jour. Souvent. Beaucoup. Chaque semaine. Gratuitement.
C’est une “heure du conte”, offerte dans une médiathèque.
C’est un rendez-vous avec un auteur, dans une librairie, un salon.
C’est un moment de rencontre autour de pages lues à haute voix, sur un trottoir.
Cela dure depuis longtemps. Depuis la nuit des temps.
Des moments lumineux, offerts.
Des fulgurances qui risquent de disparaître.
Car voilà que nous arrive une étrange initiative, fomentée par une société au nom barbare : la SCELF.
Cette Société civile des éditeurs de langue française annonce qu’elle va taxer les lectures publiques. Partout. Fussent-elles gratuites. Elle va réguler les programmes, enregistrer les lectures, faire raquer les raconteurs !
D’ailleurs, elle a déjà envoyé ses tarifs, la SCELF. Elle est sérieuse.
Elle fait ça pour « protéger les auteurs », dit-elle. Mais les auteurs ne lui ont rien demandé ! Ils écrivent pour être lus, et ces lectures offertes les font connaître, elles les font vendre, les font vivre… Ils écrivent pour lire aussi, parfois, devant leurs lecteurs, et ils voudraient continuer à pouvoir le faire sans qu’on vienne, jamais, faire payer pour leurs propres lectures.
Mais la SCELF fait la grosse voix : il faut payer, il faut payer ! Il faut payer !
Quelle étrange initiative, dans ce pays où l’on prétend aimer lire…
Que vont-elles devenir, ces milliers d’heures contées ? Où vont-ils disparaître, ces instants partagés ? Tous ces moments offerts, gratuits, donnés ?
Bibliothèques, associations, bénévoles, chacun devra payer, ou se taire.
Alors le grand murmure des histoires lues s’éteindra, et avec lui la lumière qui illumine les yeux de tous ceux qui écoutaient ces voix.
*
Comme Shéhérazade, cette nuit, nous sommes tous en sursis : parce que c’est la lecture gratuite elle-même qui pourrait bien mourir…
Pour qu’une telle nuit sans lune ne descende pas sur le monde des livres, nous demandons au ministère de la Culture de raisonner la SCELF : que jamais quiconque ne prélève le moindre revenu sur les lectures sans billetterie.
Nous demandons aux éditeurs qui participent à cette SCELF qu’ils tranchent définitivement l’affaire, hop, d’un coup sec, comme le sabre du calife, afin qu’on décapite ce prélèvement indigne et que l’on accorde la vie à ces mille et une lectures, données, offertes, reçues, sans dû.
*
Nous sommes quelques milliers, plus de 15.000 à l’heure qu’il est, réunis autour d’une pétition. Auteurs et autrices, bibliothécaires et médiathécaires, éditeurs et éditrices, libraires et médiateurs, médiatrices, organisateurs de salons, lecteurs et lectrices — des milliers à garder l’œil ouvert devant ce conte absurde, cette histoire aux allures de mauvais rêve.
Et Shéhérazade est là, qui veille. Elle nous garde vigilants.
« Mais je vois le jour, dit-elle ; ce qui reste est le plus beau du conte. »
Nous vous souhaitons une belle nuit. Et que demain la lecture publique continue, murmurée pendant mille et un jours, mille et une semaines, mille et un mois, mille et un ans… qui sait ?
Vous pouvez nous rejoindre.
Vous pouvez signer avec Shéhérazade en colère.
Vous pouvez agir, aussi.
Belle Nuit de la lecture à vous.