[ Lettre ouverte ] Pour une offre numérique adaptée et de qualité en bibliothèque publique

 

Le 1er octobre 2024

Depuis une vingtaine d’années, l’offre de services des bibliothèques publiques s’est considérablement diversifiée. Elle a évolué de la mise à disposition de ressources sur supports vers une offre documentaire hybride fondée sur la complémentarité entre ressources physiques et dématérialisées. 
L’apparition de nouvelles modalités d’accès à la culture, aux loisirs et aux savoirs via internet et le développement de nouveaux usages numériques qui y sont associés induisent un repositionnement de la place et du rôle des bibliothèques publiques dans la société numérique d’aujourd’hui. 
Si les bibliothèques ne peuvent s’affranchir de la logique de « plateformisation de la culture1» initiée par les entreprises de l’« économie de l’attention » (GAFAM), elles doivent pouvoir proposer une offre numérique de qualité à même de répondre à leurs missions de service public et garantir le respect de la diversité culturelle. 

Une coopération entre collectivités qui s’affirme autour des services numériques
Les collectivités territoriales (les Communes et leurs groupements, les Départements) ont ainsi engagé des processus visant à mettre en commun leurs moyens pour poursuivre et développer une offre enrichie de ressources numériques culturelles et informationnelles dans un souci d’intérêt général. Deux objectifs sont visés : accompagner les publics vers la découverte de contenus en ligne pluralistes et favoriser l’émergence d’usages numériques citoyens et inclusifs. 
Cette coopération s’organise principalement autour de deux approches complémentaires : 

  • La participation à des espaces professionnels de concertation et de négociation visant à faire reconnaître et défendre les intérêts des bibliothèques publiques et de leurs collectivités pour les services qu’elles portent auprès de leurs usagers. Ceci à travers une représentation dans les associations professionnelles de bibliothécaires notamment l'Association des bibliothécaires de France (ABF) et l'Association des bibliothécaires départementaux (ABD) comme au sein de l’association Réseau Carel.
  • La conduite de projets de mutualisation par des collectivités cheffes de file dans l’aménagement culturel et numérique du territoire (Départements, Métropoles, ou autres groupements de collectivités situées sur des aires urbaines). Le but ici est de donner une meilleure visibilité à ces nouveaux services en ligne dans un paysage mondial marqué par la prédominance de modèles monopolistiques et de logiques de recommandations à vocation marchande.

Une évolution des modèles économiques défavorable au service public
Pour autant, les collectivités territoriales doivent faire face aujourd’hui à de réelles difficultés pour poursuivre leurs missions d’intérêt général dans l’accompagnement des pratiques numériques culturelles et informationnelles. 
Dans un contexte de contraintes budgétaires fortes, elles sont dépendantes de modèles économiques qui ne leurs sont pas favorables. 
En effet, les critères de tarification proposés par les fournisseurs de ressources numériques laissent très peu de marges de manœuvre financières aux opérateurs publics et ne favorisent pas l’accès au plus grand nombre. Les formules de prestation à l’acte si elles ont l’intérêt d’être au plus proche des usages, ne sont pas compatibles avec les planifications budgétaires annualisées des collectivités et sont souvent plus coûteuses rapportées au nombre d’utilisateurs ; les formules par abonnement prennent quant à elles une cohorte d’usagers potentiels comme référence tarifaire qui est souvent très éloignée des usages réels si on le rapporte au nombre d’usagers actifs. 
Les bibliothèques publiques ne peuvent plus aujourd’hui concilier l’accompagnement et le développement des usages avec la maîtrise des dépenses qu’ils induisent.
Plus inquiétant encore est le phénomène de concentration à l’œuvre depuis 2 ans sur le marché des ressources numériques à destination des collectivités. L’émergence d’offres de ressources commercialisées en exclusivité par tel ou tel intermédiaire limite de plus en plus la capacité des professionnels des bibliothèques à opérer des choix dits de « politique documentaire ». La situation tend à une forme de monopoles par ressource qui rendent très difficile la publication de catalogues numériques variés et complémentaires des collections physiques. 
Cette situation complexe interroge légitimement les bibliothécaires, en ce sens qu’elle peut contrevenir à plusieurs principes énoncés par la loi du 21 décembre 2021 sur les bibliothèques et le développement de la lecture publique (dite « loi Robert ») dans son article 5 :

  • Le respect du pluralisme et de la diversité des collections ;
  • L’absence « de toutes formes […] de pressions commerciales » sur les collections au même titre que celles relevant de la « censure idéologique, politique ou religieuse ».
    Au-delà de la problématique de la soutenabilité économique, c’est bien l’engagement déontologique des bibliothécaires sur la qualité des collections qui est remis en question. 

La nécessité d’une concertation nationale autour des ressources numériques en bibliothèque publique
En conséquence, à l’heure où s’affirment les pratiques culturelles et informationnelles numériques, les associations professionnelles de bibliothécaires veulent alerter sur les risques qui pèsent sur la pérennité et la diversité des services de contenus en ligne proposés par les établissements de lecture publique en France. 
Elles appellent de leurs vœux la mise en place d’une concertation large entre pouvoirs publics et opérateurs privés, sous l’égide du ministère de la Culture, permettant de fixer à la fois un modèle économique adapté aux collectivités et un cadre de travail plus efficient. Elles considèrent qu’il est aujourd’hui nécessaire d’instaurer un dialogue collectif et constructif autour des ressources numériques en bibliothèque dans le respect réaffirmé des intérêts des différentes parties prenantes de la filière.
Comptant parmi les lieux d’accompagnement au numérique les mieux identifiés par les publics2, les bibliothèques publiques doivent être en mesure de poursuivre dans une société numérisée leur mission de service public : faciliter l'accès de tous aux œuvres et à l'information dans des conditions viables pour les collectivités.

1. Lire notamment :
    • La culture face aux défis du numérique et de la crise, notes du Conseil d’analyse économique, n°70, février 2022
    • Olivier Thuillas, Louis Wiart, Les plateformes à la conquête des industries culturelles, PUG, 2023
2. Dans l’édition 2023 du Baromètre du numérique produit par l’ANCT, les bibliothèques sont citées en tête des lieux « qui proposent un accompagnement numérique », juste après les mairies.

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  • Association des Bibliothécaires de France – ABF
  • Association des Bibliothécaires Départementaux – ABD
  • Association des Directrices et Directeurs des Bibliothèques municipales et Groupements intercommunaux des Villes de France – ADBGV
  • Réseau Carel

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